L'écume de la colère

Le 05/11/2018

Dans Humeurs

Ca tourne au vinaigre pour Emmanuel Macron. La règle est malheureusement respéctée, si c'est l'ego hypertrophié qui permet de conquérir le pouvoir, c'est ce même ego qui aveugle et le fait perdre. Emmanuel Macron a oublié qu'il a été élu par défaut plus que par adhésion à un programme libéral. La barre va être dure à redresser. 

Un homme pas ordinaire

Inconnu des électeurs deux ans auparavant, en mai 2017 il est élu président de la république. Il a su profiter d'un néant politique, venu de la faillite de François Hollande qui entraîne dans sa débâcle le parti socialiste tout entier, mais aussi des Républicains, aspirés dans la chute de François Fillon.

Quand on a l'ego suffisant pour ambitionner de gouverner une nation, il n'en faut pas plus pour prendre la grosse tête, surtout quand on l'a déjà. Mais ce que n'a pas assez retenu Emmanuel Macron, c'est que 30% seulement des électeurs ont voté pour lui. Les autres ont voté pour un autre candidat, ou se sont abstenus. Certes ces derniers n'ont pas voté contre lui, mais ils n'ont pas voté pour lui non plus.

Pas trop bien élu, Emmanuel Macron ne se voulait ni de gauche ni de droite, avec un programme économique pas si net, brouillé par une image contrastée.

Sa jeunesse le rendait sympathique à beaucoup, pouvant laisser espérer qu'il avait encore en lui cette part de rêve et d'idéal qui fait bouger les lignes et avancer l'Histoire. Il avait un vécu quelque peu iconoclaste, et même s'il reste un bourgeois, il avait su rompre avec les codes de son milieu familial et social. Il avait un parler franc, direct, et ne maniait pas trop cette langue de bois qui horripile tant l'opinion. Malgré un regard d'acier, il sait se montrer châleureux, et même empathique avec les gens. Il est profondément européen, plutôt moderne sur les sujets de société, amoureux de la litérature et des arts, comme François Mitterrand l'était, anti-raciste et ouvert sur le monde. 

D'un autre côté, il avait un discours économique très à droite, privilégiant l'économie de l'offre, avec une politique de réduction des coûts pour les entreprises, et d'allègements de la fiscalité pour les plus riches. C'est la théorie du ruissellement. Parce que depuis des années, droite et gauche échouent à réduire le chômage, à équilibrer les comptes, à créer de la croissance et du dynamisme à cette économie française trop repliée sur soi, qui a vu son industrie fondre comme neige au soleil, ses campagnes se désertifier, qui importe toujours plus qu'elle n'exporte, son discours a plu, en tous cas n'a pas été rejeté.

Une erreur d'appréciation

Gauche et droite s'étant elles-même sabordées au premier tour, Macron gagne sa place pour le second. Mais un second tour trop facile sans doute, car la France n'est pas prête, et souhaitons qu'elle ne le soit jamais, à élire à sa tête un représentant de l'extrême droite. Macron sera en plus aidé par une Marine Le Pen d'une nullité crasse lors du débat, et totalement déboussolée sur le sujet fondamental de l'Europe, où elle a eu l'inconscience de prendre un virage à 180° quelques jours auparavant.

A 39 ans, Macron est le plus jeune président de la République que la France ait jamais connu. De quoi en perdre un peu son latin. Mais pas son programme. Et parce qu'il est élu, Emmanuel Macron pense qu'il peut tout faire, qu'il a un blanc-seing des français, et que tout ce qu'il a pu dire dans la campagne, il peut et doit le faire.
Voit-il que si le parti socialiste a disparu des écrans, ce n'est sans doute pas parce que les français ont tout à coup viré à droite, et sont devenus réfractaires à la justice sociale. Il y en a certes. Mais c'est pour beaucoup parce que la gauche n'a pas fait une politique de gauche. Les salaires des plus pauvres n'ont pas augmenté, le travail s'est précarisé, le capitalisme et la haute finance imposent leurs lois, la relance par l'offre est privilégiée. La désillusion à l'égard de la gauche est à la mesure du rêve qu'elle portait.

Aujourd'hui

Très habité par sa fonction, Macron met en place ses convictions en matière d'économie. Mais ce ne sont certainement pas celles de la majorité des français, de ces classes populaires et moyennes qui partout dans le monde rompent le silence imposé par les gouvernances bourgeoises et techocratiques.

Il est convaincu que la majorité des français souhaite une réduction du nombre de fonctionnaires, alors qu'ils s'inquiètent de la désertification des villes moyennes et de la dégradation des services publics. Il est convaincu que la majorité des français réclame une plus grande liberté aux chefs d'entreprises, pour croître, investir, embaucher moins cher, alors qu'ils sont inquiets pour eux et leurs enfants, de la précarité croissante et de la stagnation du pouvoir d'achat.  

L'Histoire dira si ses choix économiques sont pertinents ou non. Certains, certainement, d'autres moins. Mais ce qui est sûr, c'est qu'ils sont trop brutaux, à sens trop unique, et trop indifférents aux difficultés des plus modestes. Dans ce monde gouverné par les lois du profit capitaliste, le travail du plus grand nombre, pourtant indispensable, est de moins en moins reconnu et respecté. Le président de la République doit le voir, et ne doit pas faire des cadeaux aux seuls ultra-riches, dont on sait en plus qu'ils investissent leur fortune  dans l'immobilier étranger ou dans des fonds d'investissement logés dans des paradis fiscaux. 

Emmanuel Macron se veut le président de tous les français. Il ne peut certes pas faire plaisir à tout le monde, mais le monde évolue sur une pente dangereuse et savonneuse, où l'humain et l'humanisme tendent à perdre leur place.
C'est ça la révolte qui gronde, l'augmentation de la taxe sur le diésel n'est que l'écume de la colère, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Face au capitalisme qui broie les vies et les consciences, l'Etat doit être un contre-pouvoir, assez fort pour limiter les ambitions des capitaines d'industrie à la cupidité insatiable et qui ne rêvent que de profits, et pour faire subsister la solidarité et le service public sans lesquel il n'y aura plus de lien social.

Le président français aime à rappeler les valeurs fondamentales sur lesquelles reposent nos républiques française et européennes. Qu'il ne les oublie pas dans ses choix de gouvernance !