Les dindons de la farce

Le 03/07/2021

Dans Humeurs

Le groupe Naouri est dans la tourmente, avec à la clé de la maltraitance pour les derniers de cordée, ceux-là même dont le métier et le dévouement avaient été tant mis en avant pendant le premier confinement (tract du 2 juillet 2021). Aux commandes, le symbole d'un capitalisme financier sans âme et sans scrupule, qu'on aimerait d'un autre temps.

Equilibrisme financier pour se constituer un groupe de distribution

Naouri

Jean-Charles Naouri est une pointure. Docteur en mathématiques, diplomé d'Harvard, énarque dans la botte, inspecteur des finances. Directeur du Trésor, il devient chef de cabinet du ministre Bérégovoy, d'abord au Ministère des Affaites sociales, puis à l'Economie et Finances. Il y sera le moteur de la modernisation des marchés financiers : Matif, Monep, billets de trésorerie, certificats de dépôts. Il est l'architecte de la dérégulation des marchés financiers, et lance les produits dérivés.

Après la victoire de la droite, il quitte le Ministère et aussi ses convictions de gauche, s'il en avait, et rentre chez Rothschild en tant qu'associé-gérant, et crée parallèlement le fonds d'investissement EURIS S.A. En 1988, il est avec Georges Pébereau l'un des protagonistes du raid manqué contre la Société Générale.

En 1991, EURIS rachète le groupe Rallye, qu'il apporte peu après à Casino, pour en devenir le premier actionnaire en 1992.

Fort d'une méthode qui lui permet grâce à l'endettement et à un système d'options, d'accumuler les acquisitions avec très peu de fonds, il acquiert le groupe Promodès en 1997, après que celui-ci ait lancé une OPA hostile sur Casino. 

En 2005, il prend la présidence opérationnelle de Casino, se sépare des activités les moins rentables, pour se positionner dans les pays en forte croissance. Leader Price, Vival, Spar, entrent dans la corbeille du groupe, de même qu'un très grand groupe brésilien, puis Monoprix. 

Puis les ennuis commencent. La conjoncture est moins bonne, les mentalités changent avec la croissance des ventes sur Internet, le covid chamboule tout, et le remboursement des immenses dettes du groupe Naouri posent problème, au point que le holding Rallye, couvrant Casino et Go Sport, est contraint de se placer sous sauvegarde judiciaire.

 

 

 

Funny turkey turkey jokes

La méthode employée par Naouri pour se constituer son empire est bien connue. C'est la même tentée par Tapie, réussie par Ladret de Lacharrière, Pinault, Arnault, Drahi, Niel et tous les autres. On part avec un peu de capital, parfois celui acquis par la vente de l'affaire familiale, on crée un holding et on utilise son réseau relationnel (parfois acquis par un passage dans les cabinets ministériels) et des outils financiers adéquats, où le LBO a une part prépondérante, pour acheter des sociétés décotées, ou pas.

On pressure ensuite la société rachetée pour rembourser la dette, qu'on peut aussi affecter en garantie des autres prêts utilisés pour l'acquisition d'autres sociétés. Ce faisant, on limite considérablement les capacités d'investissement de la société rachetée, mettant en question sa pérennité. 

Pour augmenter la rentabilité des entreprises rachetées, la recette est simple : baisser les effectifs, pour arriver à produire autant ou plus avec moins de personnes. Et ça marche.

Jusqu'au jour où un grain de sable enraye la belle mécanique : hausse des taux, évolution plus faible qu'attendue de la rentabilité, mécontentement des salariés, méfiance des prêteurs. Et le château de cartes peut alors s'écrouler. D'autres prédateurs se montrent alors, espérant récupérer le gâteau à bon compte. Ils y parviennent le plus souvent car ils permettent aux banques de se sortir d'embarras.

Il y a quand même des dindons dans la farce : les salariés. 

 

Ni états d'âme ni scrupules

Ce n'est pas la seule façon de s'enrichir aujourd'hui dans le monde des affaires, mais c'est la plus rapide, la plus facile, la plus efficace. Une seule condition : n'avoir ni états d'âme ni scrupules.

La façon la plus traditionnelle est de créer une entreprise, industrielle ou de service, qui remplira un besoin, plus ou moins essentiel, et créera des emplois. 

Une autre est celle de Naouri, qui achètent à bon compte et en faisant appel au seul endettement des entreprises desquelles ils pompent les bénéfices pour rembourser les prêts qui ont servi à les acquérir. Ce sont des opérations blanches sur le plan de l'emploi, blanches sur le plan de la valeur ajoutée à l'économie, et qui n'ont qu'une seule finalité : apporter fortune et puissance à son initiateur.

C'est l'étape la plus excessive du capitalisme, celle aussi qui peut-être sonnera sa fin, car elle en affiche les effets néfastes, injustes, destructeurs. Car ces fortunes constituées en quelques années sont le fruit des sacrifices obligés des salariés, qui en paient le prix fort par des plans sociaux et des salaires réduits au minimum de survie. Et quand les tribunaux de commerce sonnent la fin de la récré, les Naouri et consorts ont amassé assez d'argent pour couler une opulente fin de vie dans des belles maisons propriété de SCI judicieusement camouflées aux créanciers grâce à des pays complaisants et des associés prête-noms, alors que les derniers de cordées n'auront que leurs yeux et le RMI pour pleurer !

 

Le capitalisme au maximum de l'ignominie

Le bonheur des uns fait le malheur des autres, il en est toujours allé ainsi, les beaux châteaux qui émerveillent les français se sont bâtis par les impôts des "financiers" qui grâce à la "ferme" gardaient pour eux le surplus qu'ils percevaient du montant sur lequel ils s'étaient engagés vis à vis du roi. C'est la dîme et les indulgences qui permis la construction des cathédrales et palais épiscopaux, ce sont les salaires de misères accordés à des salariés sans droits qui ont permis les empires industriels, ce sont les esclaves du monde entier qui ont érigé les pyramides, le Taj Mahal et autres merveilles. Aux uns le luxe et l'opulence, aux autres misères et travail.

Les temps modernes ont apporté quelques progrès, les travailleurs et travailleuses ont des droits, des syndicats pour les défendre, des assurances sociales, un salaire minimum.

Mais les derniers de cordée restent derniers de cordées, percevant un salaire qui ne permet pas de vivre, restant ignorés des directions, peu reconnus, à peine respectés, par des dirigeants provenant d'une même éternelle classe sociale, égoïste, méprisante. Une classe sociale appartenant de génération en génération à ce qu'elle croit être l'élite, inconsciente que sans les derniers de cordée, elle ne serait rien

Aujourd'hui, la faillite de Naouri met en danger tous les salariés du Groupe, Monoprix notamment. Pour éviter la débâcle, des postes sont supprimés, les salariés restants devront faire le travail des partants, en plus du leur, à rémunération égale évidemment, soit le smic ou presque. JC Naouri continuera à se prélasser dans le luxe, déjeuner dans les meilleurs restaurants, être conduit dans les plus belles berlines, avec chauffeur peut-être. Tandis que les "petites mains" qui font tourner les magasins seront de plus en plus exploitées, avec en sus l'angoisse du lendemain.

Bien peu sont ceux qui crient au scandale, qui se révoltent contre ce capitalisme sauvage qui ravage l'homme. Bien peu sont ceux qui crient contre la stagnation d'un smic qui, pour récompenser 39 h de travail hebdomadaire, permet à peine de survivre. A un an des élections présidentielles, quelle femme ou homme politique préconise la hausse des rémunérations les plus basses ? Qui s'intéresse à ces derniers de cordées, dont la nécessité pourtant a été démontrée pendant la crise sanitaire ? Les magouilles et combines financières où des ambitieux se comportant comme des marchands de biens jouent au casino avec les entreprises passionnent les médias économiques et financiers. Mais jamais, jamais, ils ne posent la question de la légitimité de ces opérations, dans lesquelles les vrais propriétaires de l'entreprise, c'est à dire ceux qui la font chaque jour, sont pas même consultés.

Le capitalisme a atteint le plus haut dans l'ignominie. Et comme il ne manque pas d'imagination, que les contre-pouvoirs sont impuissants, que les opinions sont consentantes ou en tous cas passives, il n'est pas sûr que le maximum ait été atteint.