L'Europe est-elle condamnée à l'immobilisme ?

Le 15/07/2020

Dans Humeurs

En voyant les efforts récents de la Commission Européenne pour faire revivre l'Europe, on s'était remis à espérer. La Cour de Justice a remis les pendules à l'heure, celle du temps immobile.

La Cour a jugé en droit

Au nom du souverainisme fiscal, le Cour de Justice a donné gain de cause à l'Irlande et à Apple, et l'amende de 13 milliards d'euros qu'avait infligée la Commission à Apple a été annulée.

C'est une belle victoire pour Apple, pour l'Irlande, pour Donald Trump. C'est une défaite pour l'Europe , les grandes multi-nationales françaises qui ont craché des milliards de dollars au bassinet américain doivent rire jaune, et les états "illibéraux" mourir de plaisir.

C'est une grave défaite pour l'Europe, rattrapée par son défaut originel de conception, qui est d'avoir mis en place une monnaie commune, sans avoir jamais été en mesure de l'asseoir sur une base commune fiscale, sociale, budgétaire, sans laquelle il n'y a pas d'Etat.

Aussi choquant soit l'arrêt de la Cour, il est probable que ses fondements juridiques soient réels. La faute n'est donc pas à la justice, mais à l'Europe elle-même, incapable de s'entendre dès qu'il est question de remettre en cause une part, si petite soit-elle, de la souveraineté de chacun des Etats qui la composent.

L'Europe est une des rares régions du monde à être composée d'Etats de droit, c'est à dire où la justice est indépendante (même si quelques Etats sont tentés par la fusion des pouvoirs). En l'espèce, la Cour a jugé en droit, seulement en droit.

 

Le souverainisme des Etats reste la règle

Tout bon européen ne peut qu'être désappointé par cet arrêt, et même ressentir de la colère. 

Ce n'est cependant pas vers la Cour de Justice Européenne qu'il convient d'orienter son acrimonie. Comme on l'a vu, elle juge en droit, seulement en droit. Et dans l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui, le souverainisme fiscal, social, budgétaire, est resté la règle générale. 

L'Irlande n'est pas le seul pays à jouer sur la fiscalité comme sur une réglementation sociale allégée pour attirer capitaux et entreprises étrangères. Le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique, pays fondateurs de l'Europe, ne sont pas de meilleurs élèves. La Pologne, la Hongrie et autres pays de l'Europe de l'Est mettent en avant les coûts sociaux moindres pour attirer les employeurs. La France sait faire aussi, qui accorde financements et exonérations de toutes sortes pour favoriser les implantations chez elle.

Chaque pays a son droit, protégé par une règle qui bloque tout changement structurant : l'unanimité.

 

Le droit pour ne pas mourir

Aucune transformation majeure n'est possible en Europe, si l'unanimité n'est pas obtenue. Ce qui est inconcevable dès que le sujet est jugé stratégique.
Les niveaux de développement économique entre les Etats présentent de tels écarts, rares sont les décisions à même de profiter à tout le monde. Il y a et y aura toujours un Etat pour s'opposer.

Quand la France s'est unifiée, il y a eu des régions gagnantes et d'autres perdantes. Les régions se sont spécialisées, la métallurgie près des mines et de l'eau, le blé dans les grandes plaines fertiles du centre, les vignes dans le sud. Les régions perdantes se sont désertifiées, les populations ont mifré vers les régions prospères où il y avait de l'emploi. 
Quand les EU d'Amérique de sont crées, il y a eu des Etats gagnants et des perdants. Il ne peut qu'en être de même avec une union européenne d'états unis par la même monnaie. 
C'est cruel, mais on a menti aux populations quand on a voulu leur faire croire que l'Europe profiterait à tout le monde, et que la croissance économique serait générale et égale pour tous. Dans un système concurrentiel, les plus forts tuent les plus faibles.

Pour survivre, éviter la disparition de leurs entreprises, les états les plus faibles n'ont d'autre moyen que de s'abriter derrière les artifices du droit, fiscal, social, budgétaire, financier, et d'utiliser leur droit de véto. 

Ainsi, dans les règles actuelles de l'Europe, rien ne changera d'ici longtemps.

 

Europe à deux vitesses
sinon rien

Pour que cela change, il faudrait d'abord que tous les Etats soient bien conscients que le gagnant-gagnant n'existe pas. Et donc qu'ils acceptent de perdre !

Il faudrait ensuite remettre en cause la règle de l'unanimité.

Or jamais les "petits Etats" économiquement plus faibles n'accepteront de sonner leur mort en renonçant à leur pouvoir de dire non.

Cela condamne l'Europe au déclin relatif, et à la perte de son influence. Face à la difficulté d'élargir les compétences de l'Europe au détriment de celui des Etats, allemands et français ont opté pour la fuite en avant en accueillant tous les pays qui fuyaient l'empreinte de l'ex-URSS. C'est certainement le geste politique qu'il fallait faire, mais avec plus de conditions, et avec le courage de renoncer à la règle de l'unanimité, c'est à dire du droit de veto.

Ceux qui souhaitent une Europe plus forte n'ont d'autre espoir aujourd'hui que d'imaginer la constitution d'une mini Europe composée d'Etats disposés à perdre une part substantielle de leur souveraineté pour aller dans la direction d'un Etat unique.

Ce serait une Europe à deux vitesses, qui comprendrait l'Europe actuelle et son union douanière et monétaire, et une Europe de quelques Etats qui iraient vers une unification politique plus profonde.

La difficulté sera énorme, face à des populations désabusées, qui ne voient plus guère dans l'Europe que la possibilité de voyager aisément ou plus prosaïquement encore qu'un réservoir à subventions, et à des Etats aux situations financières par trop inégales, certains dits "frugaux" aux finances saines, et d'autres dits "clubmed", plus nombreux,  aux déséquilibres commerciaux et financiers abyssaux. 

L'espoir est mince, la probabilité restant celle d'une Europe bloquée sur ses principes souverainistes, qui la condamnent à l'immobilisme.