La revanche des dominés

Le 30/10/2018

Dans Humeurs

DominantDans toutes les sociétés, depuis la nuit des temps, il y a les dominants et les dominés. Aux premiers, pouvoir, honneurs, richesses, aux seconds travail, soumission, et le nécessaire à la survie.

Dominants et dominés

A l'origine, l'homme a vécu en groupes. Face aux dangers menaçant en permanence, aux difficultés de se nourrir, l'homme était plus fort en groupe que seul. Tout naturellement, la nécessité d'un chef est apparue. Ce sera le plus fort physiquement, ou le plus malin, ou le plus sage, mais toujours quelqu'un d'ambitieux, désireux du pouvoir. Ce pouvoir, il réussira à le conserver et le transmettre par héritage, ou se fera renverser par un plus ambitieux.

Le monde d'aujourd'hui n'est pas différent, même si la transmission du pouvoir se passe de moins en moins par héritage dans les sociétés démocratiques.

Pour gouverner, le chef s'entoure de secondants, de serviteurs zélés qui partagent les mêmes ambitions que le chef, et qui sont disposés à le servir. Le chef les récompense largement, achetant son obéissance. Ainsi se crée autour du chef une classe supérieure, parce que riche et proche du chef. Ainsi est née la noblesse, donnant naissance à une classe partageant les intérêts du pouvoir, le défendant, et recevant de ce même pouvoir richesse et considération. Ainsi gouverne le chef d'entreprise, qui s'entoure de serviteurs taillables et corvéables à merci parce que redevables de lui.

Ce sont les dominants qui font les révolutions

Si la classe dominante ressent son destin lié au pouvoir, l'excès d'arbitraire de celui-ci, son trop grand égoïsme et egocentrisme, amènent parfois tout ou partie de la classe dominante à se révolter et renverser le pouvoir en place. Ces révolutions sont nombreuses dans l'histoire, mais elles ne changent pas le fond des choses car le nouveau pouvoir sera exercé par d'anciens de la classe dominante, et pour préserver les mêmes intérêts. La révolution française a fait de la société française une société de droit, mettant fin, sur le papier, à l'arbitraire et aux privilèges. Cela a accéléré la promotion des éléments en bas de l'échelle de la classe dominante, cela n'a pas changé la vie des dominés, qui le sont restés dans les mêmes conditions de servilité politique et économique.

Ce ne sont pas les dominés qui font les révolutions, et encore moins eux qui en profitent. Le plus souvent, ils soutiennent des mouvements amorcés par une partie de la classe dominante, et par l'effet de masse peut en assurer le succès. Lorsque le mouvement part de la masse de dominés, il n'a de chance de réussite que s'il est relayé, soutenu et encadré par des dominants. Cela a été le cas de la révolution française. Sinon, telles les nombreuses jacqueries paysannes qui ont émaillé l'histoire, le mouvement échoue, pour finir souvent en bain de sang. 

Les dominés participent donc peu aux mouvements de l'histoire. Les petites mains nécessaires à la construction des pyramides et des cathédrales, les compagnons ébénistes et couturiers, les paysans, sont des contributeurs essentiels à la bonne marche de la société. Mais n'appartenant pas à la classe dominante, ils subissent les décisions des dominants, auxquels ils sont au service. Certes les révoltes existent, mais sont soit éteintes dans la répression, soit récupérées par des dominants. Et le monde repart, sans changement de fond, et sans guère de changement pour les dominés qu'une amélioration à la marge de leur condition de dominé. 

Les dominants gouvernent pour leur intérêt

Ayant les leviers de tous les pouvoirs, et le maniement de la langue et de la culture, les dominants agissent dans l'intérêt premier de leur classe, et expriment via les médias leur regard sur la société. Tous les médias, de gauche comme de droite, sont aux mains de personnes issues de la classe dominante, et peu importe qu'elles soient de droite ou de gauche. A droite comme à gauche, le message diffère peu, car les élites ont toutes le même profil, façonné par l'appartenance à la même classe sociale et les mêmes écoles. 

Ainsi, dans le monde entier, la classe dominante au pouvoir oublie la classe dominée, se contentant, comme le disait Marx, de s'assurer de sa subsistance. Aux travailleurs dominés le minimum pour vivre et travailler, aux dominants, patrons, cadres dirigeants, cadres, les hauts salaires, les bonus et parts variables, les dividendes.

Aux patrons les rémunérations annuelles de plusieurs millions d'euros, aux ouvriers et employés le salaire net mensuel de 1300€. Aux cadres les salaires revus tous les deux ou trois ans, augmentés par des bonus et stok-options, aux ouvriers et employés des salaires de misère à peine revus au rythme de l'inflation, soit quelques dizaines d'euros par an. 

Avec la mondialisation, l'épouvantail de la concurrence et des délocalisations ajoute à l'obligation de silence des dominés vis à vis des dominants. Ainsi les dernières années ont-elles vu exploser l'écart entre les plus hauts et les plus bas salaires, et l'injustice sociale grandir à nouveau.

Les réseaux sociaux changent la donne

N'ayant pas accès aux médias qu'ils intéressent peu, les dominés n'avaient jusqu'ici que le droit de se taire. Facebook et les autres bouleversent tout, car apportent le droit à la parole à tous ceux qui jusque-là en étaient privés par des médias qui les igoraient, voire les méprisaient.

La parole libérée a donné des idées à des ambitieux politiques qui ont repris à leur compte le mécontentement des dominés, les campagnes désertées par l'industrie, la violence dans les banlieues, les difficultés de fins de mois, le harcèlement au travail, qu'il soit sexuel, psychologique, productif ...

Les dominés hurlent enfin leurs souffrances, leur incompréhension et leur haine de la politique des dominants qui les laisse sur le bord de la route du progrès, alors même qu'ils en sont des acteurs indispensables.

La conséquence n'est pas mince. Partout les populistes obtiennent des succés électoraux forts, quand ils n'accèdent pas au pouvoir comme aux EU, en Italie ou au Brésil. La cause en est bien l'aveuglement des élites au pouvoir de la classe dominante, qui n'a que mépris (inconscient peut-être) pour des gens qui n'ont pas les mêmes ambitions qu'eux, et laisse la moitié des populations ou plus dans une situation de régression sociale. 

Le macronisme ne va pas dans le bon sens

En France, le macronisme ne va pas dans le bon sens. Obnubilé par les impératifs comptables, et non conscient dans ses tripes des difficultés à survivre d'une grande partie de la population, Macron s'obstine dans une politique de l'offre visant à réduire le coût du travail et celui des dépenses de l'Etat par la baisse du coût des fonctionnaires. Flexibilité et précarité pour les salariés du privé, baisse du nombre de fonctionnaires, suppression de leur statut, contrats précaires au lieu de contrat à vie, c'est un nivellement par le bas que le macronisme engage. Comme les rémunérations des élites ne sont pas réduites, bien au contraire, la population a le juste sentiment qu'elle seule subit les contraintes du monde.

Cela donne l'horrible signal que le travail n'est que source de coût, et non pas de richesse. Cela désesprère les travailleurs qui se sentent non reconnus et même en danger de précarisation.

Seulement maintenant le peuple des dominés crie, et vote pour des candidats qui, sincères ou pas, s'approprient leur mal-être. Voilà la conséquence de l'aveuglement des élites dominantes qui nous gouvernent, en France et ailleurs. 

Mais les dominés ont maintenant les moyens de s'exprimer, donc de se savoir pas seuls, donc de s'organiser. Les prochaines années vont révéler bien des surprises, pas forcément agréables !