La mondialisation a créé un monde invivable

Le 22/09/2025

Dans Humeurs

Partout en Occident, l'extrême droite prospère sur le terreau de la dégradation de la valeur travail.

Dans les années 90, naissance d'un capitalisme décomplexé et arrogant

Milton Friedman
ses théories ont changé le monde
Friedman

Depuis le début des années 90 le monde a terriblement changé sous l'effet de l'évolution mortifère du capitalisme.

Le capitalisme s'est d'abord mondialisé avec la libre circulation des marchandises et des capitaux. Sous la houlette d'une OMC triomphante aux mains des occidentaux voyant dans le commerce le secret du développement et du bonheur des peuples, le libre-échange s'est étendu à une large partie du monde, à l'image des océans qui se couvrent de porte conteneurs de plus en plus géants.
A ce jeu-là, c'est la Chine qui a le mieux tiré son épingle du jeu, enregistrant un boom économique rarement vu dans l'Histoire. Elle a été aidée par l'obsession de profit des multinationales occidentales, qui se sont précipité dans l'abandon de la fabrication locale de leurs produits pour l'externalisation en Chine.
Puis en Europe, le contrôle des changes a été aboli, et alors qu'il fallait déclarer ou soumettre à autorisation tout transfert d'argent à l'étranger, la liberté sans contrôle est devenue la règle, y compris les ouvertures de comptes.
Cette liberté de circulation des capitaux a entraîné la financiarisation d'un capitalisme rendu arrogant par la chute de l'idéologie communiste. Des économistes libéraux emmenés par Milton Friedman l'ont totalement décomplexé en hissant l'actionnaire au premier rang de la finalité de l'entreprise.

 

Un monde bouleversé

Le monde qui s'en est suivi a changé de nature, par la mondialisation qui a mis en danger de mort toutes les entreprises de production de biens et services exposés à la concurrence, et par le déclassement du travail par rapport au capital, du travailleur par rapport à l'actionnaire.
L'industrie française s'est désagrégée en quelques années, et les friches industrielles ont transformé les territoires en déserts sous l'effet des faillites et délocalisations. Les politiques n'ont pas su ou voulu voir, certains même n'étant pas fâchés de voir fondre une classe ouvrière prompte à la révolte, et des secteurs entiers d'activité ont été anéantis, au bénéfice de produits chinois moins chers.
Supermarchés et consommateurs y ont trouvé leur compte par l'augmentation du business pour les uns et du pouvoir d'achat pour les autres, comme les entreprises délocalisantes qui ont vu croître leurs profits.

A tel point que le pseudo très grand patron français, Serge Tchuruk, affichait son espoir et sa confiance dans le rêve insensé d' "entreprises sans usine" ! A la tête d'Alcatel-Alsthom, qui deviendra plus tard Alcatel, il sera même gratifié en l'an 2000 du titre de "manager de l'année", ce qui n'empêchera pas l'entreprise de disparaître quelques années plus tard faute d'avoir su adapter ses produits au marché.

Le grand gagnant, car il y en a un, c'est l'actionnaire, qui de dernière roue du carrosse de la grande entreprise des 30 glorieuses, a été érigé en acteur privilégié de la nouvelle économie, entraînant dans son sillage le staff de direction qui verra ses hauts salaires transformés en fortune, jusqu'à la caricature quand le nouveau dg de Kering reçoit 20 millions d'euros rien qu'en acceptant son futur poste de direction !

Le monde du travail a connu une révolution

Cette économie mondialisée va bouleverser les conditions de travail, et avec elles le rapport au travail, jusqu'à en ébranler l'attachement à la démocratie.
Le taylorisme et l'automatisation avaient déjà transfomé les conditions de travail. Si elles avaient pu s'en trouver améliorées, l'intérêt du travail s'en était déjà trouvé défavorablement affecté, au point de faire naître une interrogation sur son sens.

Avec l'internationalisation de la compétition, le mal être envahit tous les secteurs de l'entreprise et presque tous les salariés. Aux secteurs de la production, les premiers touchés, il s'étend aux employés, informaticiens, back-offices, ingénieurs même. Tous les salariés de l'entreprise internationale se sentent désormais concernés par les fermetures de services, usines, sièges sociaux , les suppressions de postes, externalisations, délocalisations, au gré des décisions des contrôleurs de gestion ou des choix dits stratégiques des directions.

L'entreprises et devenue un lieu d'angoisse, où domine la peur de perdre son emploi, de voir son service, voire l'entreprise entière, "dégraissé", ou supprimé, de voir un nouveau chef, petit, moyen ou grand, débarquer et casser ce que le précédent a fait trois ans avant.
Pour les financiers qui dirigent les grandes entreprises, le moyen le plus à leur portée d'augmenter les profits est la compression des coûts, dont les salaires sont presque toujours la composante dominante. Et donc les salariés sont les premiçres victimes de ces "cost killers" que les pdg s'arrachent à coup de millions d'euros ou dollars.
On a baissé les coûts et augmenté la productivité, mais aussi ramené le salarié à un matricule source de coût et non de richesse, dont on se débarrasse dès que l'opportunité se présente. Dans ces entreprises, seuls les salaires des cadres progressent nettement plus vite que l'inflation, les autres courent derrière. Tous subissent le joug des pressions productivistes, à la production comme à la vente, et les bénéficiaires des plus hautes rémunérations sont taillables et corvéables à merci.

Difficile de se projeter dans cet "univers impitoyable", difficile de donner un sens à son travail quand le poste peut être supprimé à tout moment, que l'objectif de production est revu chaque année à la hausse sans tenir aucun compte du possible et du souhaitable, difficile de se respecter quand l'entreprise ne respecte pas ses travailleurs, ne les voit pas en dehors de leur coût, ne les rémunère pas plus que le minimum de survie. Tout le monde sait qu'on ne peut pas vivre avec un smic, même en province. Pourtant 15% des salariés français touchent le smic, 30% ont un revenu net inférieur à 2200€ par mois.
Et si on demandait aux grands patrons de vivre avec un smic pendant trois mois ?! 

La concurrence perd-t-elle ses bienfaits au-delà de certaines limites ?

 

Quand on interroge n'importe quel employé d'une grande entreprise, ouvrier ou cadre, on est frappé de ce mal-être qui a gagné toutes les couches sociales. Les restructurations à répétitions, les salaires augmentés au compte-gouttes, les pressions et menaces en tout genre, individuelles ou collectives, ont fait des salariés des travailleurs résignés, amers, souvent découragés, qui aimeraient leur travail si seulement ils pouvaient se sentir reconnus et respectés.

Ce mal-être au travail fabrique des citoyens en colère, qu'ils retournent contre l'Etat voulu providence. Mais l'Etat n'y peut rien, sauf à augmenter le smic, qu'il ne peut ni ne veut faire, d'abord parce qu'il n'en a pas les moyens pour ses propre salariés, ensuite parce qu'il craindrait d'amoindrir la compétitivité des entreprises.

Les bienfaits de la concurrence ont-ils atteint leurs limites ? La France a perdu  au grand jeu de la mondialisation, et quand les rares secteurs où elle est encore dans le jeu - aéronautique, espace, armement, feroviaire - seront à leur tour touchés, elle sera réduite à n'être plus qu' un vieux musée apprécié des nostalgiques, amateurs d'histoire et de folklore.

Peut-être la voie qui s'ouvre maintenant est-elle celle de la démondialisation ? Mais elle sera tout autant difficile que celle qui se ferme, et tout autant perturbatrice sur le plan social et économique.

Mais un point est sûr, on ne la gagnera pas si l'Etat, les patrons, les syndicats, ne trouvent pas la clé magique pour redonner aux français le goût du travail, passant au minimum par la reconnaissnce et le respect dus au travailleur, quelque soit son niveau hiérarchique.