Peut-on encore croire au progrès ?

Le 30/11/2025

Dans Humeurs

Le progrès s'accélère comme jamais, et en même temps le doute s'instille sur ses bienfaits.

Le progrès entraîne le progrès sous l'amélioration des outils permis par ce même progrès, l'accroissement du niveau d'éducation des peuples, et le moteur que constitue le capitalisme. Car le progrès est un instrument privilégié du capitalisme quand il devient innovation. Et c'est l'innovation qui permet, provisoirement, d'être en situation de monopole, celle-là même qui permet de fixer le prix de vente et donc les marges.

Les humanistes du 19ème siècle ont beaucoup écrit sur le progrès, dans lequel leur foi pouvait compenser leur non croyance en un dieu qui apportait du sens. Le progrès serait alors une voie dans laquelle le monde irait pour donner plus de bonheur aux hommes. Dans un temps où le travail manuel était surreprésenté, difficile et mortifère, ce n'était pas une mince espérance que le progrès remplace les tâches les plus difficiles qu'on pensait immuables.
Le 19 ème siècle a été celui des grandes révolutions qui en quelques décennies ont changé le monde. Le charbon et la machine à vapeur ont bouleversé les techniques, ouvrant la voie au développement de l'industrie et des transports modernes, voiture, train, avion. En même temps la recherche médicale ouvrait la voie vers une santé moderne et l'allongement de l'espérance de vie. 

Le progrès est alors reçu avec bonheur, car facilite la vie et ouvre des perspectives heureuses. L'usage du lavoir disparaît au profit de la machine à laver, se déplacer est facile et de plus en plus rapide, les régions se désenclavent, le travail se dépénibilise, l'espérance de vie explose : elle augmente de 17 ans en 75 ans, pour atteindre en 2024 85.7 ans pour les femmes, 80,1 ans pour les hommes.

La seconde moitié du 20 ème siècle voit une accélération encore plus forte du progrès avec le nucléaire et la révolution informatique. Energie nouvelle, automatisation puis robotisation, télécommunications et téléphonie, Internet, Intelligence artificielle, ont bouleversé le monde, balayant les repères, accélérant les changements de mode de vie comme jamais dans l'Histoire. Celui qui a 80 ans aujourd'hui était enfant sans télé et sans lave-linge, l'automobile était un bien rare et cher, le téléphone réservé à une toute petite élite. Il a connu ensuite l'explosion de la voiture, du transport aérien, a suivi à la télé le débarquement américain sur la lune, a vécu la révolution de l'Internet et de la numérisation, et regarde avec réserve le développement de l'IA, le plus souvent inquiet du monde dont il entrouvre les portes.

On pense à Georges Orwell dans "1984" publié en 1949, où la machine est utilisée par le dictateur pour imposer un totalitarisme destructeur de la pensée.

Pourquoi alors tant de réserves aujourd'hui ?

D'abord parce que le bonheur n'est pas toujours au rendez-vous. La voiture a certes facilité les déplacements et permis de découvrir d'autres horizons. Mais elle occasionne aussi des bouchons insupportables, pollue l'atmosphère et met en danger la santé des humains et de la planète.
L'espérance de vie augmente, mais trop souvent au prix de fins de vie de souffrance et sans lucidité.
Les métiers ont été allégés des tâches les plus pénibles, mais le productivisme et la parcellisation des tâches les ont vidés de leur sens. En récupérant le progrès pour toujours plus de profit, le travailleur se sent de moins en moins utile, comme le montrent les pratiques d'entreprises qui suppriment des équivalents agents à chaque mise en oeuvre d'une nouvelle application informatique. Précarité va aussi avec progrès.
Internet a rendu accessible à tous les connaissances et l'information, et apporté des nouvelles méthodes de travail. Mais au prix d'une certaine déshumanisation et fragilisation de l'esprit, qui peut amener parfois une certaine nostalgie du passé. C'était mieux avant !

Et puis aussi, le progrès n'a pas amené la paix, mais a rendu les guerres infiniment plus meurtrières.
Et puis aussi, la mise en oeuvre du progrès a abimé notre environnement et entraîné des dérèglements climatiques qui ne peuvent qu'interpeller sur son bien-fondé.

Ainsi aujourd'hui, pour beaucoup le progrès pose plus de questions qu'il ne soulève d'espoirs.
Le réchauffement climatique, la diminution de la bio diversité avec la disparition d'espèces animales, l'industrialisation de l'alimentation, l'urbanisation dans des mégalopoles surpeuplées, sans nature et polluées, des armements de plus en plus coûteux et meurtriers, la perte de sens du travail dans des entreprises déshumanisées où la course au profit a pris le pas sur l'humain, les inégalités qui ne diminuent pas, pèsent lourd dans la balance. Santé et espérance de vie allongée ont de plus en plus de mal à la faire passer du côté de l'espoir.