Retraites

Le 18/01/2023

Dans Humeurs

Tandis que la France a une sensibilité exacerbée à l'âge légal de départ à la retraite, Emmanuel Macron s'acharne à vouloir le reculer jusqu'à en faire le symbole de sa réforme, alors que l'essentiel n'est pas là, et que le risque d'enflammer le pays est grand. 

Le report de l'âge légal symbole du réformisme du président

L'imaginaire d'un président est indécelable. Afin de rester dans l'Histoire comme un président réformateur, audacieux et visionnaire, Emmanuel Macron s'est mis en tête de réformer le système de la retraite. 
Le projet initial était ambitieux et disruptif, axé sur un système de points identique pour tous, et la suppression des régimes spéciaux, créateurs de privilèges si chers à la société française.
Difficulté d'élaboration, gilets jaunes, covid, ont mis à bas les ambitions, qui ont repris vie à l'occasion des élections présidentielles.
L'idée de fond qu'on doit travailler plus longtemps demeure. La démographie le justifie, et la plupart des français sont à même de le comprendre.
Mais la force des symboles et de l'image dans l'Histoire ont pris le dessus sur le bon sens et la sagesse, et le report de l'âge légal est devenu le point marquant et quasi unique de la réforme proposée.

Oui, il est nécessaire de travailler plus longtemps

Le bons sens impose indubitablement de revoir notre système de retraite. 
Dans les années 60, on partait en retraite à 65 ans, âge auquel l'espérance de vie était de 5 à 10 ans.
Aujourd'hui on part à 62 ans, avec une espérance de vie de 17 à 22 ans. Quatre actifs pour deux inactifs il y a cinquante ans, un peu plus de deux aujourd'hui.

Donc si on ne veut pas que le coût des retraites pèse d'un poids insupportable sur les actifs, il n'y a pas d'autre alternative à l'allongement de la durée du travail.

Travailler plus sans report de l'âge légal

Avec l'allongement du nombre d'annuités nécessaires à l'obtention de la retraite pleine initié par les réformes Fillon et Touraine, les français travaillent déjà plus longtemps, 43 ans bientôt au lieu de 40 il y a peu. Tous les bac+5 qui commençant à travailler à 22 ans partent déjà à la retraite à 64 ans, et partiront à 65 ans avec la réforme Touraine, les autres rallongeront leur durée de travail de deux ans. Non diplômés mais plus usés par des travaux plus éprouvants, ils partiront avec deux années de travail supplémentaires. 

En augmentant en même temps le nombre d'annuités et l'âge légal de départ, c'est la double peine pour ces non diplômés. Est-ce cela la justice ?

Et si on supprimait l'âge légal de départ ?

Est-il besoin d'avoir un âge légal de départ, et ne peut-on avoir pour seul critère le nombre d'années pleines travaillées ? Les années cotisées au-delà donneraient droit à un bonus, tandis que le départ avant le nombre légal ne serait pas possible, comme aujourd'hui le départ avant l'âge légal. En cas de chômage en fin de carrière, les années chômées compteraient comme années travaillées, comme c'est bien le cas aujourd'hui. 

Un regard sur le travail qui change

Il est remarquable que les réformes Fillon puis Touraine augmentant le nombre d'annuités nécessaires à l'octroi de la retraite pleine soient passées plus facilement qu'une lettre à la poste!
Il est encore plus ébouriffant que la prise en compte du salaire moyen des 25 dernières années au lieu des six derniers mois ait laissé sans voix syndicats et salariés! Les conséquences en sont pourtant bien plus lourdes que le report de l'âge légal.

Emmanuel Macron est trop intelligent pour ressentir la force du symbole que le report de l'âge légal représente pour les classes les plus modestes.
Il est aussi trop éloigné des classes populaires pour ressentir avec elles leur désenchantement vis à vis du travail, conséquence de salaires trop bas, de management vertical, de travaux pénibles, parcellisés, où l'objectif de productivité a priorité sur le bien-être moral et physique du travailleur, où le travail fourni voit trop souvent sa récompense dans l'inclusion dans des plans sociaux pour cause de délocalisation ou autre.

Les employeurs français, privés et publics, ont dégoûté les salariés qui aspirent à autre chose qu'à se dévouer pour des entreprises qui ne les respectent pas. 

Une lutte qui pourrait durer

Deux visions d'un même symbole vont s'opposer.
Celle du président qui y voit celui de sa capacité à réformer et aussi le moyen de marquer l'histoire, même si personne ne se souvient du président sous le règne duquel l'âge légal a été porté de 60 à 62 ans. Et qui se souvient que la gauche au pouvoir n'est pas revenue, malgré ses promesses, sur cette limite de 62 ans ?
Et celle des classes populaires, qui y voient l'égoïsme des élites perçues au service des nantis et du patronat plus qu'à elles-mêmes. 

Après les désillusions de l'après Covid et et de l'épisode des gilets jaunes, la bataille pourrait être rude.