Faiblesses du modèle français

Le 20/01/2021

Dans Humeurs

Le déclin relatif de l'économie française est criant. Disparition de secteurs entiers de l'industrie, balance commerciale plus proche de pays en voie de développement que de nations industrielles, désertification des territoires et chômage structurel élevé, dépendance croissante vis à vis de l'étranger, sont les faits marquants de ces vingt dernières années. En cause: les manques des directions de nos grandes entreprises. 

 

Haro sur l'Etat

On aime bien en France, et surtout au Médef, incriminer l'Etat qui serait la cause des mauvais résultats de l'industrie française.

C'est aller un peu vite en besogne, quand on sait en plus que peu de pays dans le monde aident les entreprises au niveau de la France.

Trois évènements actuels éclairent de façon presque caricaturale la pratique française :
- la tentative de rachat de Carrefour par le canadien COUCHE-TARD, agréée par l'actionnaire principal et le pdg
- l'échec de SANOFI à sortir un vaccin anti-covid en même temps que ses concurrents, tout en distribuant des dividendes record et réduisant chaque année sa recherche
- le démantèlement annoncé d'ENGIE, qui projette de se séparer de tout ce qui n'est pas directement du secteur de l'énergie.
          Alexandre Bompart

BompardDans le premier cas, le pdg du deuxième distributeur français se montre prêt à céder son groupe à une entreprise canadienne pour permettre à Bernard Arnault de sortir du groupe en limitant sa perte. Les 14% (20% des droits de vote) acquis en 2010 par le milliardaire français n'ont fait que se dévaluer, le marché ayant accueilli fraîchement la "vision stratégique" limitée à la vente de l'activité super-discount (DIA) et d'une partie du patrimoine immobilier.

SANOFI, géant mondial de la pharmacie, sortir son vaccin anti-covid au moins un an après les américains, anglais, allemands, russes, chinois, indien. En même temps, le nouveau DG ne voit pas malice à annoncer la poursuite de l'allègement des effectifs de Recherche & Développement, ni à distribuer 4 milliards d'euros de dividendes. Nombreux sont ceux qui s'inquiètent d'un manque de vision industrielle du staff directorial, qui affiche sans honte au monde une entreprise impuissante et inerte, obnubilée par la seule rentabilité à court terme et la bonne forme du cours de bourse. 

 
 

Quant à ENGIE, c'est un virage à 360° qui est en passe de s'opérer, avec le regroupement de toutes les entités hors énergie dans une nouvelle entité, destinée à être cédée ou introduite en bourse. Faire et défaire, c'est encore travailler, mais pendant des mois des dizaines de personnes au plus haut niveau vont oeuvrer sur un sujet périphérique, et laisser de côté les enjeux essentiels d'ENGIE.

On pourrait évoquer aussi le cas de la SG, qui en cinq ans aura fermé la moitié de son réseau d'agences en France, ne voyant dans ce réseau qu'une source de coûts, alors qu'il est aussi, et surtout, la source privilégiée d'entrée des nouveaux clients et d'approfondissement de la relation client.

 

Des directions venues d'ailleurs

Ces entreprises ont au moins une chose en commun : elles sont dirigées tout en haut de la pyramide hiérarchique par des têtes certes bien faites, mais parvenues au commande sans réelle expérience de l'entreprise, de ses métiers, de ses hommes, de ses produits, de sa culture, de ses enjeux.

Formés par les mêmes écoles, bien loin de l'univers de l'entreprise, ils ont cultivé leurs réseaux au sein de cabinets ministériels, avant que ces mêmes réseaux les recyclent au sommet de grandes entreprises qu'ils méprisaient pour la plupart dans leurs fonctions politiques. En manque de légitimité, beaucoup se protègent par la mise en place de cabinets, et alors que la pertinence serait de se plonger dans l'entreprise et sa culture, ils vont la regarder du haut de leur supériorité auto-proclamée. 

Le directeur général qui a gagné ses galons au mérite, après des années passées au contact de services divers et variés, en connaît la nature, les forces et les faiblesses. Il peut en percevoir les opportunités de développement, les attentes des clients, les produits d'avenir.
L'énarque parachuté va avoir tendance à prioriser plus que tout autre la recherche de l'accroissement de valeur pour l'actionnaire qui l'aura désigné,  c'est à dire dividendes et cours de bourse. Les entreprises françaises sont à ce titre les championnes du monde en terme de distribution de dividendes, sacrifiant l'investissement, et n'hésitant pas même pour certaines à s'endetter pour cà.

 

 

Des recettes éculées

Les recettes pour atteindre ces objectifs à court terme sont toujours les mêmes  :
- réduire les coûts (sauf leurs rémunérations), quitte à ce que cela entame l'essence même de l'entreprise, à savoir le fond de commerce
- agir sur le périmètre du groupe par des achats ou ventes d'entreprises, diversifiant ou recentrant les activités selon l'héritage du prédécesseur.

Pendant tout ce temps, la recherche piétine, les parts de marché s'érodent, les produits vieillissent, l'évolution du marché est mal perçue, le personnel courbe l'échine avec le sentiment démobilisateur d'être dirigé par des martiens.

Quand Lafarge se vend à la Suisse, quand l'ancien leader des télécom Alcatel regarde passer les trains des nouvelles technologies et disparaît, quand le leader mondial de l'aluminium Péchiney passe de main étrangère en main étrangère et coule, quand le pdg d'Alsthom vend son groupe à General Electric qui quelques mois plus tard trahit ses promesses, quand  Renault et Peugeot achètent ou fusionnent avec d'autres, mais que leurs voitures restent inconnues en Europe de l'Est, aux US et en Asie, au contraire des allemandes qui inondent ces marchés les plus dynamiques de la planète, quand Sanofi n'hésite pas à montrer son impuissance à sortir un vaccin, mais est droit dans ses bottes pour distribuer chaque année 4 à 5 milliards d'euros de dividendes, on ne peut qu'être sceptiques sur la capacité de nombre de dirigeants à conduire leurs groupes sur la durée. 

 

La France déclassée

Pendant ce temps-là, les constructeurs automobiles allemands, souvent dirigées par des hommes maison, inondent le monde de leurs voitures dont la supériorité n'est pas à démontrer, la balance commerciale allemande est excédentaire de 200 milliards d'euros alors que celle de la France a un déficit de plus de 50 milliards, et tient à un tout petit nombre d'activités.

Par la puissance et la qualité de ses entreprises, l'Allemagne est le point fort de l'Europe. C'est elle qui permet un euro fort, qui fait la confiance des investisseurs du monde entier, qui permet à l'Europe d'emprunter à taux négatifs.
Cela durera ce que cela durera, mais la France a d'ores et déjà perdu au jeu de la mondialisation. A l'heure du retour sur soi, ce qui a été détruit ne sera pas reconstruit, et le déclassement de la France est bien pérenne.