Des salaires, pas l'aumône

Le 25/10/2021

Dans Humeurs

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Depuis la crise des gilets jaunes, le gouvernement n'en finit pas de palier les déficiences des entreprises en distribuant par çi, allégeant les charges par là. La petite dernière, 100€ pour compenser la hausse du prix de l'essence, conséquence de la hausse des marchés mondiaux. 

De l'esprit start-up à l'esprit Front populaire

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Emmanuel Macron s'affichait en libéral de l'économie, se fixant comme objectif de libéraliser l'économie française pour l'adapter à la mondialisation et ses contraintes de compétitivité. Et d'encourager les start-up, de favoriser la venue de groupes étrangers, de permettre de devenir riches parce que la richesse des riches ruissellerait sur toute l'économie.

Et puis les gilets jaunes sont arrivés, et la crise sanitaire. Les "derniers de cordées" ont alors pris la parole, secoué le pays, manifesté, exposé sans pudeur les difficultés de leurs fins de mois avec des salaires qui ne permettent pas de vivre. Ils n'ont pas craint d'aller à contre-courant des idées à la mode centrées sur l'environnement et le climat, arguant que leur préoccupation première était la survie. 

Les bien-pensants ont eu peur, tant l'histoire de la France est faite de jacqueries, grèves et révolutions. Le pouvoir semble avoir découvert la pauvreté d'une grande partie des français, et a vivement changé son fusil d'épaule. De promoteur de start-ups, il s'est fait défendeur du pouvoir d'achat des plus modestes.
Emmanuel Macron s'est transformé en Léon Blum, lui qui se rêvait en Gerhard Schroeder.

 

Pas les bons moyens

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Le président français a eu raison sur le fond : soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs est un devoir. Cela a été répété maintes fois sur ce site.

Seulement les moyens utilisés ne sont pas les bons.

Au nom de la sacro-sainte compétitivité, le gouvernement a fait appel aux seules ressources de l'Etat pour arriver à ses fins. Il ne fallait surtout pas impacter les bénéfices des entreprises.

Primes d'activités, indemnités essence, exonérations fiscales, allégement de charges sociales, l'Etat n'a eu de cesse de palier les bas salaires par une pseudo générosité, injuste, anti-économique, et contraire à la dignité humaine.

Injuste, parce qu'elle en fait peser la charge sur tous les français, puisqu'au bout du compte, c'est l'impôt qui est mis à contribution.

Anti-économique, parce que le salaire doit permettre à l'employé de vivre de son travail, et l'Etat n'a rien à y voir. Le penchant naturel de l'entreprise est de payer le moins possible ses employés, et le rôle de l'Etat doit être de contrarier cette tendance, non de l'encourager en paliant l'égoïsme de l'entreprise par ses distributions. L'Etat doit se mobiliser pour une répartition plus juste des fruits du travail. 
Carrefour n'existerait pas s'il n'y avait pas ses milliers de caissières, magasiniers, employés des rayons, qui travaillent dans des conditions pénibles qui ne permettent souvent même pas le smic. On a tout oublié de la période récente. 

Indigne enfin, parce que ces aides, tout utiles qu'elles soient, font du travailleur un assisté, alors qu'il réclame, très justement, un salaire qui soit la reconnaissance de son travail et de son utilité sociale.

 

Vers la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers

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C'est tellement vrai que des milliers, bientôt des millions, d'emplois ne sont et ne seront plus pourvus en France. Mal payés, sans reconnaissance sociale, pénibles, il est difficile de recruter aujourd'hui caissières, aides-soignantes à l'hôpital ou dans les maisons de retraite, infirmières, employés du bâtiment, de la restauration, chauffeurs, livreurs, et même des enseignants.

Depuis trente ans, les entreprises privées, comme le secteur public, ont remplacé l'augmentation générale des salaires, qui préservait le pouvoir d'achat, par des promotions individualisées. A ce jeu-là, les derniers de cordées n'ont rien gagné, les augmentations des rémunérations ont été monoplisées par les jeunes cadres à potentiel, les managers servils, les équipes de direction, tous diplômés.

Le fossé s'est tellement creusé que le combler semble impossible. L'immigration a été largement utilisée pour remplir les emplois délaissés. Mais si celle-ci doit se réduire comme l'air du temps semble l'indiquer, alors les entreprises vont se trouver face à un sérieux dilemne : réduire leur activité, ou offrir des salaires en forte augmentation.

Demain la rareté risque de changer de camp. Et pour trouver un garçon de salle, un maçon, une aide-soignante en EPHAD, il faudra doubler le salaire, voire plus. 

On paye aujourd'hui le diplôme, on paiera demain la pénibilité du travail et son manque de reconnaissance sociale. Il faut s'y préparer.

La conséquence en sera une hausse des prix, d'autant plus forte que l'immigration se réduira, et que la relocalisation sera effective.

 

Un Grenelle social

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12,6 millions de salariés gagnent à peine plus que le smic, qui s'élève à 1239€ nets par mois

Quel cadre, quel patron, imagine de vivre avec ça ?

Pendant ce temps-là, les grandes entreprises font des bénéfices comme jamais, extériorisant des taux de rentabilité extravagants, allant à utiliser parfois leurs bénéfices au rachat de leurs propres actions, pratique longtemps interdite car contraire aux règles fondamentales d'un sain libéralisme.

Les écarts de salaires se sont accrus jusqu'à l'aberration, faisant de la moitié de la France des révoltés en puissance. Les managers français se sont coulés avec délice dans les contraintes de la mondialisation, non en tentant d'innover, conquérir les marchés, créer de nouveaux produits, mais en invoquant les contraintes de compétitivité pour pressurer les salaires de la "masse" à la limite du supportable.

La limite a été atteinte. Il n'y aura peut-être pas  de révolution populaire type 1848, mais une dramatique impossibilité de pourvoir les postes jugés pénibles, mal payés, non reconnus socialement.

Sauf à "ajuster" les salaires, peut-être en doublant le montant de certains, voire plus. 

Certains partis politiques prônent un Grenelle social comme en 1968. C'est indubitablement indispensable, et Emmanuel Macron ferait bien d'y penser pour l'inclure dans son programme présidentiel.

Ce sera une sérieuse volte-face pour lui, mais ce ne sera pas la première. Ni la dernière s'il est réélu.