Droit à l'autodétermination

Le 30/12/2017

Dans Humeurs

Au fil des siècles, les Etats se sont construits, par la guerre le plus souvent, mais jamais par la volonté des peuples. Le nationalisme est la grande idée du XIXème siècle, qui a accouché de deux monstruosités. Depuis, la tentation est de s'allier voire de se fédérer. Ces dernières années, il semble qu'on asiste à un mouvement inverse, des régions, riches ou pauvres, aspirent à l'indépendance. Qu'en penser?

Un anachronisme politique

Les anciens qui ont été confrontés, de près ou de loin, à la déflagration mondiale, qui sont sensibles au "plus jamais ça", ont applaudi à la construction de l'ONU, et celle plus difficile de l'Europe. Pour eux, le nationalisme c'est la guerre, comme en témoigne l'Histoire, et la multiplication des petits états n'est certainement pas un gage de paix.

La pertinence économique de l'indépendance de petits états pose aussi question. Peu de ces états, même riches, sont autonomes en tous les domaines. Surtout, à l'heure où la planète tout entière est menacée, où la mondialisation économique et financière impose sa loi à l'humanité, où le progrès technologique remet en question la notion même dêtre humain, aspirer à être le roi de son minuscule pré-carré peut paraître l'acceptation de la soumission aux pouvoirs sans frontières des réalités économiques et scientifiques.  Avoir sa monnaie, et la défendre, ses ambassades pour protéger ses ressortissants, sa défense nationale, est-ce pertinent pour un état de quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés et quelques centaines de milliers d'habitants ?

Condamnation au déclin économique

C'est vrai qu'il y a des tous petits Etats qui survivent, et en apparence s'en sortent. A y voir de plus près, s'ils n'ont pas de richesses naturelles et de capacités industrielles, ils recherchent leur salut par des recours à des niches, très peu éthiques. Dumping social, discrétion fiscale, absence de règlementation, ils basent leur salut sur la transgression des règlementations les plus marquantes des progrès de l'humanité.

Ces micro-états se condamnent à être seulement spectateurs du monde, a n'avoir plus aucune influence sur la scène internationale, à n'offrir qu'un avenir terne et frileux aux plus jeunes. Les individus les plus doués de ces pays iront ailleurs satisfaire leurs ambitions de changer le monde, et ces Etats végèteront dans un immobilisme de moins en moins confortable.

Prenos la Catalogne. Certes c'est la région la plus riche d'Espagne, et donc donneuse plus que receveuse. Mais que serait la Catalogne sans l'Espagne? N'est-ce pas le marché espagnol qui a permis la croissance des entreprises catalanes? Ne sont-ce pas les espagnols qui ont fait la fortune de la Costa Brava? N'est-ce pas la capacité de l'Espagne tout entière à appartenir à l'Europe qui a boosté l'économie et agrandi le périmètre d'action des entreprises? La Catalogne est riche certes, mais elle le doit en grande partie à son appartenance à l'Espagne.

Ainsi de la Corse. Elle n'est pas riche, et depuis des décennies ses ressortissants les plus doués et les plus ambitueux sont partis faire fortune ailleurs, dans l'administration continentale ou en Amérique. Mais serait-elle plus riche hors la France? La Corse n'a pas de matières premières, pas d'industrie, trois cent mille habitants seulement, une toute petite Université où certains veulent promouvoir la langue corse. Que peut devenir une telle économie dans une planète mondialisée? Quel pouvoir aura-t-elle pour éviter, non les invasions, on peut penser que le temps en est fini, mais de subir les diktats des autres nations, des multinationales, des grandes institutions? Sans même parler du financement de l'assurance-maladie, des retraites, du chômage, et des administrations régaliennes comme la justice, la police, l'enseignement !  

Les peuples évoluent, changent. La peur du changement est de tous les temps, tous les lieux, et le repli sur soi la tentation de tous ceux qui se sentent mal armés pour l'affronter. Pourtant, le repli sur soi est sans aucun doute la condamnation à mort des peuples et de leur culture. La Corse indépendante n'aura ni les moyens ni les capacités humaines à maintenir son niveau de vie actuel, le déclin arrivera très vite, les jeunes partiront, et l'île ne sera plus qu'un musée où on viendra admirer les beaux paysages et les primitifs qui un jour ont refusé de s'ancrer dans le monde.

Au nom de quoi s'opposer à la volonté d'indépendance?

Mais la raison ne gagne pas toujours, rarement même, sinon il n'y aurait pas tant de guerres. 

Les Etats se sont construits la plupart du temps sans demander l'avis des peuples, et souvent contre l'avis des peuples. Faut-il faire pareil pour s'opposer à les défaire?  On a l'impression qu'on aime bien le droit à l'auto-détermination quand il s'agit d' Etats lointains qui nous sont étrangers. On a applaudi de Gaulle et le Québec libre, on a applaudi les états des Balkans à l'explosion de la Yougoslavie, mais on s'est opposé à la volonté de liberté de nos colonies, on s'oppose à celle de la Corse ou de la Catalogne.

On peut penser sur le continent que la Corse indépendante n' a pas d'avenir. Mais si une majorité de corses est prête à prendre le pari, au nom de quoi devrions-nous nous y opposer? Par fidélité au roi Louis XV qui a acheté la Corse en 1768, qui se considérait pourtant comme indépendante depuis 1735 ?

Sur beaucoup de sujets, l'aspiration des corses, comme d'habitants de beaucoup d'Etats qui se sont construits par la guerre, les mariages, ou des mécanos politiques, est légitime, et le droit à choisir son destin devrait être universel. La paix au Moyen-Orient ne sera jamais fixée tant que les puissants n'accepteront pas de remettre en cause les frontières décidées au Moyen-Orient par deux diplomates français et anglais au début du XXème siècle, au mépris de l'histoire des peuples et des cultures. 

Le choix qu'a fait le gouvernement Rocard pour la Nouvelle-Calédonie doit pouvoir nous inspirer. On accorde d'abord une large et longue autonomie, puis, au bout de plusieurs années, le peuple est en droit de se prononcer sur le maintien du statu quo ou la voie vers l'indépendance. C'est vers ça qu'il faut aller pour la Corse, d'abord une vraie autonomie, soutenue par l'Etat français, et dans le respect des règles françaises, puis au bout d'un temps à fixer, un vote pour ou contre l'indépendance.