Jupiter appliqué à la démocratie

Le 18/01/2024

Dans Humeurs

Pendant plus de deux heures, le chef de l'Etat a présenté un patchwork de mesurettes pas toujours dignes de son rang, rabaissant les ministres à un rôle de second plan. Sans effleurer les vrais problèmes.

Uniforme en test dans une poignée de collèges, connaissance de La Marseillaise, service civil possiblement étendu, voire un jour obligatoire, opérations "place nette" pour lutter contre la drogue, autant de mesures pertinentes ou pas selon l'appréciation de chacun, mais qui ne valaient pas une conférence de Presse de 2h20, devant 200 journalistes, face aux ministres sagement assis sur leur chaise, et un protocole royal comme l'aime notre république.
Les ministres qui n'auront pas pris de notes vont-ils recevoir un coup de bâton quand viendra l'heure des comptes ?
Plus que jamais, Emmanuel Macron se montre un insupportable "monsieur je sais tout".
Il devrait savoir pourtant, après les gilets jaunes, les révoltes des banlieues, les échecs électoraux, les sondages d'opinion, qu'il ne suffit pas d'être premier de la classe pour être un bon président, et encore moins, perçu comme tel.

Posez n'importe quelle question sur n'importe quel sujet à Emmanuel Macron, il a la réponse et la solution, même aux problèmes qui n'existent pas. Il vous dira même qu'il a demandé au ministre d'en mettre en oeuvre la solution que lui seul a trouvée. Fi les ministres, les administrations, les conseillers et consultants, le président est là, qui débat de tout, tranche sur tout, décide de tout.
Le président devient détenteur de la connaissance universelle, à même de résoudre tous les problèmes, et apporter une solution à tous les besoins. Cette tendance lourde à la personnalisation du pouvoir du chef d'Etat ou du Premier Ministre se rencontre dorénavant dans toutes les démocraties, comme si les citoyens avaient besoin d'un pouvoir quasi divin pour se rassurer et espérer. A ce jeu-là, la distance entre démocratie et dictature s'estompe. Jusqu'à risquer de disparaître ?

Que reste-t-il du projet initial d'Emmanuel Macron, celui qu'il hurlait, totalement habité, dans ses meetings de 2017?  Il voulait déréglementer l'économie pour libérer les énergies, encourager les très riches, source de ruissellement sur les moins riches, donner à la France et ses entreprises les armes nécessaires pour briller dans la grande bagarre du capitalisme financier internationalisé, bouleverser le jeu politique en supprimant les clivages gauche droite qu'il jugeait dépassés et sclérosants ...
Sept années plus tard, son projet paraît bien dépassé, les priorités d'hier ne sont plus celles d'aujourd'hui, la gauche et la droite existent toujours, avec des extrêmes bien placés pour arriver au pouvoir, des évènement de nature très diverses ont balayé les intentions premières.
Au final, le président a eu plus à gérer les crises, avec succès d'ailleurs, que changer le monde. Comme la modestie n'est pas la qualité première des hommes et femmes politiques, et que ce n'est pas davantage la qualité demandée par les électeurs, cette course à la jupitérisation de la fonction présidentielle va se poursuivre, multipliant les déceptions, décrédibilisant le monde politique, perçu au mieux comme composé d'incompétents, au pire de manipulateurs oeuvrant pour leurs seuls intérêts personnels.
Or une démocratie qui ne croit plus dans ses acteurs est vouée à disparaître. 
 

Les grandes préoccupations des français n'ont pas été évoquées, ou à peine effleurées.
Ainsi de la santé, où aucune idée nouvelle n'a été présentée pour traiter l'immense désertification médicale qui conduit les patients vers les urgences de l'hôpital dans l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous avec un médecin. Ainsi des cités, qui s'enflamment régulièrement, en manque de culture, commerces, transports, services publics, et polluées par les fléaux du communautarisme et de la drogue. Ainsi de l'Europe, en panne d'intégration, bloquée par des règles de fonctionnement inadaptées à un si grand nombre d'Etats, qui plus est aux cultures, économies, intérêts, souvent divergents, capable de légiférer sur les boites de camembert mais incapable d'avancer vers une défense commune, une harmonisation de la fiscalité, une règlementation sociale non concurrente ... Ainsi du pouvoir d'achat et de la justice sociale. Comment se satisfaire d'un smic de 1400 euros nets, car qui peut vivre en ville avec un tel montant? Que faire entre l'écart grandissant entre les revenus du capital et du travail, au profit des premiers? Ainsi de l'environnement, avec des entreprises qui continuent à nous vendre des produits qui tuent, où l'énergie propre à la française est nucléaire, sans vouloir voir l'immensité des risques qui lui est propre ? Ainsi du capitalisme financier qui imprime ses règles égoïstes à l'ensemble de la société, démotive les salariés en les précarisant et hissant l'actionnaire au faîte de la finalité de l'action de tout un chacun.

 

De de Gaulle à Macron, la fonction présidentielle a changé de nature. Avec le temps, le rôle supposé du président s'est hypertrophié, conséquence de son élection au suffrage universel. Avec Emmanuel Macron, il faut promettre tout, rassurer tout le monde. Qui est prêt à voter pour un candidat raisonnable qui afficherait réalisme ou lucidité ? Le rêve fait voter, et les voix sont promises à celui qui fait rêver.