Concilier l'inconciliable

Le 27/02/2024

Dans Humeurs

La révolte des agriculteurs européens remet en cause le principe fondamental du libre-échange, bases mêmes du développement du monde ces cinquante dernières années.

Les rêves de l'après-guerre

Après le cataclysme des deux guerres mondiales du 20ème siècle, et le "plus jamais ça" qui s'en est suivi, le libre-échange est apparu comme le moyen privilégié pour pacifier les nations, intégrer les économies, et partant les peuples, faciliter le démarrage économique des pays les moins développés comme la croissance des pays riches, à l'instar de l'envolée de l'Europe au 19ème siècle.
Le marché commun a été créé, abolissant les barrières douanières d'un nombre croissant de pays, l'OMC a été créé avec un rôle déterminant à la fin du 20ème siècle, des accords commerciaux bilatéraux entre zones économiques se sont multipliés.

L'effet immédiat a été un accroissement considérable de la concurrence, qui a favorisé l'industrie la plus moderne des pays riches, et les secteurs basés sur la main d'oeuvre des pays pauvres. Une spécialisation mondiale était en marche, pas réellement voulue, avec un grand vainqueur la Chine, qui a réussi à performer sur les deux tableaux.

Effets contrastés

La conséquence pour l'économie française en a été le fort développement d'une industrie de pointe (aviation par exemple) et de secteurs forts de notre économie (agro-industrie, luxe ...).
Mais aussi la disparition très rapide de pans entiers de l'industrie produisant des biens à faible valeur ajoutée, comme le textile et l'habillement, l'ameublement, les industries mécanique, métallurgie, outillage, électro-ménager ...
Comme la survie de l'agriculture dépendait de sa compétitivité, on a remembré les exploitations et engagé le secteur dans une course technologique - machines agricoles, engrais, pesticide ...
Pour quels résultats ?

Le prix à payer

La production s'est effectivement modernisée, mais au prix de la disparition d'un nombre immense de paysans, de la dégradation des terres, de l'environnement, et de la qualité des produits. Comme dans l'industrie, des secteurs d'activité ont disparu au profit de concurrents étrangers (parfois européens), pour en final, assurer aux agriculteurs en survie un niveau de vie inférieure à la moyenne nationale.
La perte de souveraineté, en agriculture comme dans l'industrie, a éclaté à l'occasion de la crise du covid et aujourd'hui de la crise russe. Ce n'était pas grave quand on rêvait à un monde que le commerce pacifierait et où la guerre semblait être devenue impossible, raison et dissuasion nucléaire obligent. Mais ce regard bisounours a malheureusement fait long feu dans un monde désormais hostile, où la guerre est redevenue un outil stratégique ordinaire, où des zones commerciales se créent et s'opposent, où le commerce est une arme au service de la puissance politique.
 

Une révolution improbable du capitalisme

 

Concilier souveraineté et libre-concurrence est un exercice d'acrobatie impossible. On ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs, la libre-concurrence cause la mort des plus faibles, mais la souveraineté, qui ne pourra pas se faire sans barrières douanières, en empêchera d'autres de croître et prospérer, supprimera des emplois, limitera la croissance, voire génèrera de la décroissance.
Nul n'a la martingale aujourd'hui, et si une certaine forme de décroissance devait être la solution la plus probable, il faudrait une révolution dans les mentalités pour que la capitalisme qui gouverne le monde ne soit plus dans les mains des plus cupides d'entre nous.