Réseaux sociaux et démocratie

Le 06/10/2019

Dans Humeurs

La mode est aujourd'hui à taper sur les réseaux sociaux, parce qu'ils affichent haine, violence, grossiéreté, dans des communications sans recul, sans analyse, dans des messages anti-culture appelant à la révolte violente. Les Réseaux sociaux sont l'exutoire des frustrations d'une part de la population mal traitée par des années de libéralisme sauvage, qui trouve là, enfin, un moyen de se faire entendre.

Une France abandonnée

Depuis plusieurs décennies, disons la fin des années 80, le capitalisme s'est débridé sous le double effet de la mort du communisme qui représentait le rêve d'une société meilleure, et de la mondialisation. Les financiers ont pris le pouvoir, érigeant l'accroissement de valeur pour l'actionnaire en finalité première de l'activité humaine.

Dans ce but, le paradigme est la croissance continue de la productivité et l'abaissement des coûts de production pour une rentabilité toujours croissante :
- salaires au plus bas, notamment ceux des ouvriers et employés. En vertu de la loi de l'offre et de la demande, les cadres ont pu tirer leur épingle du jeu, et les équipes de direction ont fait fortune. Par contre les salaires des emplois présumés les moins qualifiés ont vu leur pouvoir d'achat stagner ou régresser.
- modernisation et automatisation de l'outil de production, entraînant une parcellisation des tâches réduisant à peu l'intérêt et le sens du travail, et mettant sur le carreau des centaines de milliers de personnes
- réorganisation des usines, entraînant fermeture ou délocalisation de pans entiers de l'industrie.

La conséquence en a été une explosion du chômage, la désertification de 80% du territoire au profit de quelques grandes métropoles, des conditions de travail dégradées malgré la diminution des travaux pénibles permise par le progrès technique.

L'aveuglement des élites

Le pouvoir politique, la presse, les élites dirigeantes de l'administration et des entreprises, n'ont pas voulu, su, pu voir l'abandon dans lequel l'application dogmatique des principes de ce capitalisme financier mondialisé faisait plonger une part très importante de la population. 

Le rejet des politiques illustré par l'absentéisme croissant aux élections aurait dû servir d'avertissement à tous les décideurs, économiques et politiques. Mais tout à leur confort idéologique et matériel, ils n'ont pas voulu voir. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Et puis il n'y a pas tant d'élections que cela. Alors il y a aussi les sondages, mais qu'on sait relativiser quand ils révélent des choses qu'on ne veut pas savoir. 

Quant à la presse, à juste raison ou pas, une grande part de cette population la rejette pour cause de présomption de complicité avec les élites. Et il est vrai qu'il n'y a plus de presse d'opposition, que les financiers et capitaines d'industrie ont raflé le pouvoir de la presse écrite et télévisuelle, et l'information y est complaisante, pour ne pas dire plus, avec les pouvoirs en place.

Ainsi cette France délaissée ne se sent-elle plus représentée ni par les politiques ni par la presse, bourgeoise et convenue. Ainsi se sent-elle délaissée et abandonnée, et en colère rentrée face à des discours bien loin des réalités qu'elle vit. 

 

La libération

Le succès des réseaux sociaux n'a pas d'autre raison que cet accès à la parole donné à des millions de personnes qui n'étaient jamais entendues, parce qu'elles ne se sentaient représentées par aucune institution ni aucun média.
Ce sont les victimes de la mondialisation en France et ailleurs, et aussi les citoyens des pays soumis à des régimes autoritaires. Le printemps arabe a été permis par Facebook, comme les révoltes de Hong-Kong. Et que fait un régime autoritaire quand ça commence à chauffer sur les réseaux? Il les contrôle et les suspend.

Le meilleur et le pire

On connait le pire, l'appel à la haine et à la violence, même meurtrière. La délation et le plaisir de nuire à son voisin, son collègue, son camarade de classe. Les clichés et les raccourcis, où sont absents réflexion, logique, culture.

Mais le meilleur est ailleurs. Dans le droit à la parole, et donc à l'existence, donné à tous ceux, et ils sont des millions, qui depuis des décennies subissent les diktats des élites, cupides, complices ou impuissantes.

Facebook a changé le monde, il ne faut pas le nier. Non pas parce qu'il permet de communiquer avec des "amis" qui n'en sont pas vraiment. Mais parce qu'il a apporté une possibilité d'expression à des gens qui s'en estimaient privés. 

La démocratie est le moins mauvais des régimes, dit-on. Facebook et autres vont peut-être lui permettre de perdurer, alors qu'elle est attaquée par certains qui pensentb qu'une classe sociale se l'est appropriée ou que voter tous les trois ans pour des personnes qui ne les représentent pas n'est pas satisfaisant.