La crise du travail derrière la crise des retraites

Le 07/03/2023

Dans Humeurs

Les français ne veulent pas travailler plus longtemps. Derrière cette farouche opposition, se cache une vraie crise du travail.

Vent debout contre une réformette

Moins qu'une réforme, les mesures Macron sont les mesurettes utilisées par tous les gouvernements depuis 50 ans pour palier la croissance des dépenses au titre des retraites. La fin de quelques régimes spéciaux est la seule disposition innovante, et bizarrement pas la plus contestée.
La réforme n'aura aucun effet sur tous les français qui entrent dans l'emploi à 21 ans et plus, soit tous les bac+5. Beaucoup d'adaptations spécifiques sont prévues pour les autres, amortissant fortement l'effet de la réforme. Elle devait permette d'économiser plusieurs milliards par an, on en est réduit à 600 millions !

Mais le président en a fait le symbole de son esprit réformateur et de son courage politique. Reculer lui rendrait sa fin de mandat totalement ingérable.
Mais les syndicats y ont trouvé un rare point d'union, et un moyen de redorer un blason terni depuis longtemps.

Et les français ?

Le capitalisme ensauvagé a porté atteinte à la valeur travail

Au-delà de la préoccupation de l'âge légal de départ à la retraite, réelle pour les métiers pénibles ou à risques, il semble que la valeur travail sur laquelle est censée reposer notre société, ait perdu pas mal de plumes avec l'apparition à la fin du siècle dernier d'un capitalisme financier, décomplexé, égoïste et déshumanisé.

La compétitivité et son compère obligé productivité sont devenus la bible des directions d'entreprises, entraînant la perte de sens du travail pour un grand nombre de salariés, y compris cadres. Le marketing inventé pour créer le besoin, le contrôle de gestion qui génère délocalisations, fermetures, fusions, réorganisations, suppressions de postes, ont transformé les décideurs en joueurs de monopoly, et les salariés en matricules, qu'on déplace ou licencie au gré des modes et des stratégies à la seule volonté de quelques princes.
C'est miracle qu'un employé de banque qui pendant trente ans a eu sur sa tête l'épée de Damoclès de fermeture de son entité, conserve encore motivation et sentiment de son utilité ! Mais il ne faut quand même pas s'étonner qu'il ne soit pas spontanément emballé à l'idée de travailler deux années de plus !

Cela fait des décennies aussi que les entreprises, notamment les grandes, traitent mal leurs seniors. Au-delà de 50 ou 55 ans, il n'y a plus de formation pour eux. Les mutations s'espacent, ils voient autour d'eux se multiplier les plans individuels de départ, confirmant si besoin était qu'ils ne sont plus bienvenus dans l'entreprise. Deux ans de plus, dites-vous ? 

Quand la finance prend le pas sur l'industriel

 

Depuis ces fatales années 90, la finance a pris le pas sur l'industriel, et l'actionnaire est devenu le graal qu'il faut  récompenser. Pourtant l'actionnaire d'une grande entreprise n'apporte aucun fond à celle-ci, sauf dans les rares cas d'augmentation de capital. Un investisseur qui achète en bourse à un autre investisseur est mieux traité et considéré que le salarié, alors que c'est lui qui  fait la richesse de l'entreprise, l'actionnaire ne faisant qu'assurer la liquidité du marché boursier. Sur les milliards de bénéfices des grandes entreprises, la plus grosse part va aux actionnaires et aux dirigeants supérieurs au travers des dividendes et des rachats d'actions, des miettes vont aux salariés, ce qui est encore plus que l'Etat, spolié par l'optimisation fiscale.

Un monde où la démocratie est absente

Les salariés restent totalement absents des grandes orientations de l'entreprise, et leur participation aux conseils d'administration n'est que symbolique quand elle existe. Le président qui propose ses candidats administrateurs aux assemblées générales a  tous les pouvoirs, et ce ne sont pas les administrateurs, amis et bien payés, qui vont s'y opposer. On ne scie pas volontiers la branche sur laquelle on est assis, surtout quand elle rapporte 50 000, 100 000 , voire 200 000 € annuels pour une douzaine de réunions par an !
La démocratie reste ainsi totalement absente de l'entreprise, qui reste, pour les plus grandes, un lieu où règne la domination de quelques uns appartenant à une petite caste sociale et politique.

Dans ce système de gestion, l'intérêt des salariés, et même de l'entreprise, passe le plus souvent derrière celui des actionnaires et des dirigeants, qui voient la plus grosse part de leurs importantes rémunérations assises sur les actions de l'entreprise. Ainsi arrive-t-il que soient vendues des entreprises pour le seul gain des actionnaires et dirigeants, au risque du déclin ou de la disparition d' entreprises saines. 

 

Si le progrès technique et une législation sociale imposée par l'Etat ont globalement amélioré la situation des salariés, la perte de sens du travail et un sentiment général de précarité né du pouvoir arbitraire ont des conséquences désastreuses sur le bien-être au travail. Ce dernier passe par un travail qui a du sens, et le respect et la reconnaissance suite à son exécution. Certains en ont conscience qui ont mis la bienveillance à la mode.
Mais elle n'est pas de mise pour ceux qui tirent les ficelles, et qui ont fait trop souvent du monde du travail un monde hostile, égoïste, irrespectueux, méprisant, duquel beaucoup visent à sortir dès que possible.