La guerre des mondes

Le 15/12/2019

Dans Humeurs

Il y a deux mondes dans nos sociétés occidentales : le monde de ceux qui sont dans le business, dans la mondialisation, de ceux qui essaient de se projeter dans ce qu'ils pensent être le monde de demain. Et celui des gilets jaunes, des écologistes, de tous ceux qui estiment avoir été délaissés par le croissance des vingt dernières années, qui rejettent le modèle capitaliste, avec ses contraintes de croissance, concurrence, compétitivité. Ces deux mondes ne se parlent guère et se radicalisent

Le monde des décideurs - égoïsme et ingratitude

D'un côté le monde des affaires, de l'économie, des pouvoirs. Ce monde-là est mondialisé, se veut dans l'Histoire, la grande, celle des évolutions du monde, s'appropriant le progrès technique, les changements de culture, l'effacement des frontières.

Ce monde-là a la culture capitaliste comme ligne de vie, le culte de l'argent, du profit, du cours de bourse, de la fortune accumulée. Il rachète et vend les entreprises comme des antiquités sur Le Bon Coin, il impose des objectifs toujours plus hauts, toujours plus forts, pour toujours plus de productivité, de profits, de baisse de coûts, il comprime les effectifs jusqu'au burn-out des hommes et des femmes, il délocalise ou ferme usines, entrepôts, par simple confort, non parce qu'ils ne sont plus rentables, mais parce que la rentabilité dégagée est prédite plus élevée ailleurs.
Que fait donc Radio France pour remercier les équipes d'avoir permis à la radio nationale de devenir n°1 devant le leader historique, RTL ? Il supprime 300 postes !

Ce monde-là est égoïste, sauf pour les actionnaires, parce qu'il en fait partie. Aux salariés, le minimum permis par le marché, ce qui correspond au minimum de subsistance pour les travailleurs qu'on appelle non qualifiés. Qui sont qualifiés pourtant, leur qualification étant de faire des travaux que peu de gens veulent faire, parce que durs, pénibles, dangereux, usants, sales. Alors pour continuer à remplir ces postes peu attractifs et pourtant indispensables, on fait appel aux travailleurs étrangers, déclarés ou pas, qui sont prêts à travailler pour presque rien, dans des conditions de vie indécentes, sur lesquelles tout le monde ferme pudiquement les yeux. .
Il est égoïste vis à vis de l'Etat, l'optimisation fiscale visant à payer le moins d'impôt possible évoluant vite en fraude caractérisée via les paradis fiscaux et des sociétés bidon, qui n'ont d'autre but que de loger les bénéfices là où ils sont le moins imposés. Il est remarquable que la communication financière ne fasse jamais état de l'impôt sur les sociétés payé, et ne le rapproche jamais des dividendes versés aux actionnaires. L'Etat est pourtant un partenaire plus nécessaire que les actionnaires.

Ce monde-là n'a pas d'éthique, quoiqu'il en dise, parce que la recherche du profit à tout prix ne va pas avec le respect des hommes, des cultures, de l'environnement. Quand BNPP, CA, Natexis, transfèrent des milliers de postes à Lisbonne ou Porto, parce que les salaires y sont deux fois moins élevés qu'en France, est-ce bien éthique ? Quand SG transfère une partie de sa conformité en Roumanie, pays de surcroît peu exemplaire, est-ce bien éthique ? Quand Peugeot délocalise à tour de bras, et que son siège financier va rejoindre celui de FIAT aux Pays-Bas, est-ce bien éthique ? Tout ce petit monde doit pourtant sa survie à l'Etat français, qui les a sauvés de la banqueroute en 2008. La gratitude ne fait pas partie des valeurs de ce monde-là.

Les oubliés

Et il y a le monde de ceux qui sont en dehors de ce monde-là.

Il y a d'abord la grande masse des fonctionnaires, dont l'emploi est protégé, à vie, contre-partie d'un niveau de rémunération plus faible que dans le privé, surtout pour les plus élévés dans la hiérarchie. Ceux-là s'accrochent à leurs avantages catégoriels, dont la retraite est le phare pour la police ou les transports par exemple, mais aussi les enseignants. Peu de primes pour la grande masse, ni bonus ni intéressement ni parts variables, mais un départ en retraite anticipé ou des bases de calcul favorables. Mal payés, on doit comprendre le mal être des ensignants qui ne peuvent pas sans sourciller accepter de voir baisser de 20 à 30% leur retraite, déjà assise sur une rémunération indigne de leurs qualifications et responsabilités. On doit être plus critiques vis à vis des conducteurs de trains, qui bénéfient d'un âge de départ d'un autre âge, celui des machines à vapeur de "La bête humaine", disparues depuis belle lurette.

Il y a tous ceux qui se sentent oubliés par le monde d'en haut, et ne se sentent plus concernés par les actes de ceux qui ont le pouvoir, politique et économique. Ils sont victimes des délocalisations, compressions, réorganisations, ils sont habitants de zones rurales désertées par l'Etat, les services de santé, les entreprises, les transports; ils sont petits professionnels, libéraux, artisans ou commerçants, qui vivent dans l'incertitude du lendemain, pressurés par un Etat et des clients peu complaisants; ils sont salariés du bas de l'échelle, en CDI ou CDD, sous-rémunérés, exploités, précarisés, et toujours sous la menace de perdre leur emploi.
Ils sont gilets jaunes en France, trumpistes aux EU, brexiters en Angleterre, extrêmes droite partout. Ils étaient inaudibles il y a quelques années, la crise mondiale, l'aveugement égoïste des élites, les réseaux sociaux portent maintenant haut leurs voix.

 

Les résignés

Et puis il y a la grande masse des citoyens, cadres et non cadres, qui sont ou ne sont pas en phase avec les valeurs du monde, mais qui sont accrochés à leurs postes. Parce qu'il faut bien vivre.
Ceux-là subissent pour un grand nombre, au risque de perdre leur âme. C'est le dilemne faustien de l'entreprise, mettre en oeuvre un plan social, délocaliser une usine, agir pour la production, promotion, vente de produits peu éthiques, ou partir et risquer l'enfer du chômage et du déclassement.

Alors ce monde-là coube l'échine, se ment à soi-même ou non, mais tient bon, se légitime, se console, se justifie. Mais il reste souvent lucide sur les buts inavoués et contestables de la logique capitaliste, sur les injustices sociales, les mensonges, la perte de sens du travail. Il se réfugie dans la famille, les loisirs, la vie associative.

Ce monde-là n'est pas en grève, mais il comprend les grèvistes, comprend leur combat, leur révolte. Ce n'est pas tout à fait le leur, mais presque. 

Un dominant chasse l'autre

Etrange que ce soit les premiers qui dominent tous les autres. C'est vrai que cela a toujours été, dans toutes les sociétes et de tous temps, une minorité d'initiés prend l'ascendant sur la majorité, qui se révolte de temps en temps, pour en fin de compte donner le pouvoir à une autre minorité.

Ainsi va le monde, une minorité d'exploitants use et abuse d'une majorité d'esploités. Cela finira-t-il un jour ? 

On aurait pu croire que l'avènement de la démocratie changeât le cours des choses, pour porter plus haut les valeurs de partage, générosité, tolérance. Il n'en est rien. De nouveaux dominants remplacent toujours les anciens, avec le même égoïsme, la même cupidité, le même goût du pouvoir, le même aveuglement. L'entreprise a toujours son armée de travailleurs pauvres, qui ne reçoivent guère plus qu'un salaire de survie. La richesse est de plus en plus mal répartie.

Si on ajoute que le modèle capitaliste détruit la planète, on peut être inquiet pour les années qui viennent.