Le mal français

Le 08/04/2017

Dans Humeurs

Ce mal qui répand le malheur, chez nous, on en parle depuis longtemps, sans en voir vraiment l'importance fondamentale. Peut-être parce que sa résolution ne dépend ni d'un président providentiel ni d'une signature au bas d'une loi ou d'un décret.

La France a depuis des dizaines d'années un gravissime déficit de compétitivité. Pour l'apprécier, il suffit de comparer le montant de l'excédent commercial de l'Allemagne à celui du déficit de la France.

Jusqu'à la mise en place de l'euro, on en parlait, mais légèrement parce que tous les trois ans on pratiquait une dévaluation dite compétitive. Ca relançait les exportations, diminuait les importations par l'effet mécanique de la hausse des prix, cette dernière alimentait l'inflation, et on repartait vers une nouvelle dévaluation. Ainsi allait la France des trente glorieuses, tant bien que mal, pas si bien que ça sans doute, puisque l'instabilité monétaire chronique que nous connaissions a conduit les économistes à la mise en place de la monnaie européenne.  
Quelques années plus tard, le but n'est que partiellement atteint, car l'instabilité monétaire a été remplacée pour les économies  les moins compétitives par le chômage, la baisse des salaires et des avantages sociaux, et le recours à la dette et aux déficits. 

Le Médef toujours dans la plainte

Le manque de compétitivité de l'industrie française n'est pas nouveau. S'il s'est accéléré avec la mondialisation, il a été la plaie des 30 années dites glorieuses. Le coûts des salaires et des charges n'était pas tant en cause que la faible appétence des entreprises pour l'exportation, et encore moins de la grande exportation. Frilosité à conquérir les marchés étrangers, production à la qualité insuffisante, peu différentiée selon les marchés, égoïsme des grandes entreprises exploitant ses sous-traitants au lieu de les emmener avec elles à la conquête du monde, constituent un mal français, que la mise en place du marché commun européen puis de l'euro n'ont pas soulagé.

Des aides de toutes sortes ont été accordées par les autorités de l'Etat, prêts bonifiés, primes, conseils. Avec des résultats individuels sans doute, mais le problème de fond demeure.

Le patronat a beau jeu de rejeter sur les politiques la responsabilité de leurs piètres performances. Il se défausse ainsi à bon compte d'une gestion des entreprises plus père de famille que conquérante, à la différence des industriels allemands ou scandinaves. Car enfin, la différence de coûts salariaux ne suffit pas à expliquer les très bons résultats à l'exportation de ces derniers, et les médiocres de la France. Et qui le seraient encore plus si on enlevait de nos exportations celles générées par l'action de nos gouvernants, armes et avions par exemple.

Le Médef si prompt à mettre à bas les actions politiques devrait faire son introspection, et promouvoir un discours basé sur l'intérêt d'une gestion dynamique et audacieuse des entreprises, plutôt que d'être sempiternellement dans la plainte d'une hausse des charges diabolisée qu'imposerait tous les gouvernements. 

Un déficit de mentalité industrielle

Personne ne conteste plus que le libre-échange a ses limites, et que le gagnant-gagnant y est une chimère. Mais personne ne peut nier non plus que les pays déjà cités ont mieux que nous tiré leur épingle du jeu.
Moins de goût pour les grands espaces, on l'a dit. Aussi parce que la France a été plus sensibilisée à la financiarisation que d'autres. Nos présidents et dirigeants frais émoulus des grandes écoles de gestion, publique ou privé, venus trop souvent des cabinets ministériels, ont remplacé ceux venus des grandes écoles d'ingénieurs, plus à même d'asseoir la santé de l'entreprise sur le couple produit-marché que sur le contrôle de gestion et les résultats financiers. Sous leur coupe, le court terme est passé devant le moyen et long terme, la distribution de dividendes et de bonus est devenu l'objectif privilégié.

Quant à nos jeunes créateurs, s'il y a pas mal d'esprits inventifs et de start-ups, on n'a pas eu en France notre Bill Gates ou Steve Jobs, ni de Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg. Nos créateurs font un petit tour et puis s'en vont. Ceux qui réussissent s'introduisent en bourse ou se vendent à un grand groupe. Ils deviendront rentiers et business angels, on aime en France les donneurs de leçons, et leur boite disparaîtra subrepticement, noyée dans le fatras de la galaxie que constituent les filiales des grands groupes. Au mieux, ceux-ci récupèreront un brevet ou quelques cadres ingénieux, au pire, ils feront purement et simplement disparaître un concurrent et un empêcheur de profiter en rond. 

Que va devenir la banque Nickel, vendue tout récemment à BNPP, prototype de la banque institutionnelle?

Si en France on sait faire des affaires, on est en déficit de mentalité industrielle. Il ne s'agit pas seulement de s'implanter sur un marché nouveau ou en développement, il faut savoir durer, et péréniser son entreprise.