Un nouveau scandale. Et après?

Le 07/11/2017

Dans Humeurs

C'est cyclique, tous les trois à cinq ans, survient un scandale fiscal qui feint de nous faire découvrir les vilaines manoeuvres des riches et des puissants, ce sont généralement les mêmes, pour échapper à l'imposition. TVA, ISF, droits de succession, impôts sur les bénéfices ou les revenus, tous les impôts sont sujets à des montages sophistiqués pour payer le moins possible, voire pas du tout. Et tout le monde très hypocritement de feindre l'indignation ! 

Rien de nouveau

Quand j'ai commencé dans la banque, au début des années 70, des services spécialisés procédaient à des montages sur mesure pour domicilier à Jersey des holdings et fiducies. En même temps que l'essor du crédit-bail, des montages sophistiqués étaient inventés pour minimiser l'impôt, tant sur le chiffre d'affaires que sur les bénéfices. Tout cela s'est intensifié à partir de la fin des années 80 avec la mondialisation et la dérégulation réunies. Des petits pays sans grands atouts ont su en profiter en alléchant le capitaliste par une fiscalité sympathique.

Prenez le groupe TOTAL. Tout le monde est très fier de la réussite de ce grand groupe français, très rentable, très généreux avec ses actionnaires, mais radin comme pas possible avec l'Etat français. Qu'on ne dise pas qu'on ne le savait pas, cela fait des années que la presse en parle. Quand on est à la fois producteur, raffineur et distributeur, il ne faut pas beaucoup d'imagination pour comprendre qu'avec des sociétés écran bien placées, on fait apparaître les bénéfices où on veut.
Les fuites en provenance des paradis fiscaux, ne serait-ce que le Luxembourg ou la Suisse, ont bien dû faire comprendre quand même les mécanismes, non? Les myriades de sociétés bidon dans les îles fiscalement paradisiaques n'ont pas éveillé la curiosité des dirrigeants du monde? L'essor ces dernières années de la banque dite "privée", avec ses cortèges de clients non résidents, étrangers, chefs d'entreprises, personnages politiques, n'a donc fait se poser aucune question? Peut-on croire qu'on y professe seulement l'intérêt du livret A et du LDD ? Qu'a-t-on appris de l'affaire Cahuzac? Rien?
Des avions à usage privé sont vendus à des sociétés dans des paradis fiscaux au travers des montages permettant d'échapper à la TVA ? Y avait-il à Bercy et dans le monde politique une seule personne qui l'ignorait? Et pourquoi donc les yachts, voiliers, paquebots, arboreraient-ils le pavillon de Panama, de Malte ou de la Grèce, si ce n'est pour "optimiser" l'impôt?
Tous les grands tennismen ou coureurs automobiles sont domiciliés à Monaco ou en Suisse. Une seule mesure est-elle prise contre eux? Pourquoi les joueurs français de la coupe Davies ont-ils le droit de représenter la France, alors qu'ils ont choisir de résider en Suisse pour payer moins d'impôts? 

Hypocrisie

Qu'est-ce qui fait la fortune de l'Irlande, la Suisse, le Luxembourg, Monaco, Andorre, les îles de Man, Malte, Chypre, Jersey, sans aller plus loin, ni évoquer la Belgique ou les Pays-Bas parfois, si ce n'est la bienveillance fiscale?
Ce n'est pas la peine d'aller dans les eaux chaudes du globe pour trouver un douillet asile fiscal, il y en a à nos portes, dans l'Union Européenne et même dans la zone euro.

Alors que Bruno Lemaire alourdit encore la taxation du Plan Epargne Logement, épargne de la France moyenne, les riches sont courtisés par les grandes banques, les cabinets d'avocats, les courtiers et gestionnaires de fonds, pour des placements dans des fonds bien cachés dans des îles exotiques, derrières des noms d'emprunts. Tout le monde le sait, on chiffre même à Bercy le manque à gagner !   

Impuissance

Et l'action s'arrête à l'indignation feinte. Et de scandales en scandales, rien ne change. Pourquoi ?
Parce que nous sommes dans un système libéral, capitaliste, mondialisé et dérégulé. De même qu'on n'empêche pas de rouler à 180 km/h sur autoroute, on n'empêche pas les capitaux de circuler de par le monde, et de se fixer là où cela apparaît le plus rentable. Interdire n'est pas empêcher.
Parce que les gens au pouvoir sont proches, quand ce ne sont pas les mêmes, des gens qui ont assez d'argent pour chercher à le cacher aux services fiscaux, à la famille, aux tiers ...
Parce que chaque Etat défend son économie, et donc ses entreprises, et donc au pire encourage, au mieux ferme les yeux, sur les manoeuvres qui permettent de remporter des marchés. Combien de super-yachts seraient encore vendus s'il fallait les vendre directement aux milliardaires?

Parce que pour empêcher ses manoeuvres éthiquement contestables, il faudrait introduire de la morale dans un système économique qui n'en a pas dans ses gênes, qui ne contiennent que recherche de profit et de puissance. La coupe Davies avant la morale fiscale !
Parce que si on veut que d'éventuelles mesures soient efficaces, il faut que tous les acteurs mondiaux s'y plient, Etats, investisseurs, intermédiaires financiers, entreprises, milliardaires et millionnaires. Et ça, ce n'est pas pour demain.

Agir quand même

Il faut quand même agir, même si c'est difficile, même si juristes des banques et cabinets d'avocats continueront à avoir une longueur d'avance.
Il ne faut plus parler d'évasion ou d'optimisation, mais de vol.
Pourquoi ne pas lier, d'une façon à trouver, le montant des dividendes payés à l'actionnaire à l'impôt sociétés versé à l'Etat.
Ne rêvons pas, une fois l'indignation passée, disons dans une semaine, les défiscaliseurs continueront de défiscaliser en rond, les fraudeurs de frauder, pour le plus grand bénéfice des grandes banques et des gestionnaires de fonds et avocats d'affaires. Il s'agit de rendre leur vie plus difficile, et de culpabiliser et montrer du doigt les voleurs.