Que reste-t-il du macronisme ?

Le 05/05/2019

Dans Humeurs

Emmanuel Macron a bâti son histoire sur quelques idées fortes, que très vite les médias adeptes de raccourcis ont appelé macronisme. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?

Fort de son éducation bourgeoise, de son haut niveau d'études, et d'une intelligence que d'aucuns disent exceptionnelle, Macron a bâti son image sur la compétence, l'efficacité, la jeunesse, l'européanisme.

Sa vision du monde est technocratique. La France évolue dans un monde à l'économie libérale, capitaliste, financiarisée, où la compétition est mondiale. Dans ce monde concurrentiel, il faut être fort pour survivre. Il faut donc renforcer les entreprises, et à cette fin les libérer d'une partie des charges qui grèvent leur compétitivité. Il faut aussi rendre attractive l'activité de chef d'entreprise, en reconnaissant le droit à l'enrichissement, au principe que l'argent dépensé par les riches ruisselle sur l'ensemble du pays.

Suppression de l'ISF, allégements de charges sociales et fiscales, dérèglementation du droit du travail ont été dans cet esprit les éléments phares de la politique française, autant dire une politique économique de droite.

Parce qu'il était jeune et présumé connaisseur de la société moderne, Macron s'est attaché à ringardiser les "vieux" politiciens, faisant partie à ce titre du dégagisme qui imprègne toutes les sociétés ocidentales.

Fort de son jeune âge et de sa "fraîcheur" politique, Macron a très vite tenté de prendre le taureau européen par les cornes, visitant les pays les uns après les autres, avec  des propositions pour lever l'inertie. Il proclame sa foi en l'Europe, clé du salut des pays européens dans un monde de compétition impitoyable, où la technologie a un rôle clé, avec les investissemnts abyssaux qu'elle nécessite, et que seule une union de pays est  à même de réaliser. 

Il a mis le feu

Quelques mesures impopulaires et maladroites plus tard, la France d'en bas se révolte. Les gilets jaunes sont dans la rue, foule bigarrée d'intérêts contradictoire, sans leader et sans programme, petits entrepreneurs individuels, retraités, salariés faiblement rémunérés, chômeurs, exprimant tous leur ras-le-bol d'une ploitique économique qu'ils perçoivent comme étant, depuis des années, dirigée contre eux, et non pour eux. 

C'est vrai que le pouvoir d'achat des bas salaires a régressé; que moult retraités ont des pensions mensuelles inférieures à 1000 euros; que les grandes entreprises utilisent leurs bénéfices, en augmentation constante, à l'explosion des dividendes et des primes au staff de direction et cadres supérieurs bien davantage qu'à la grande masse des salariés, qui paie les pots cassés quand ça va mal, et qui ne reçoit rien quand ça va bien; que la vie dans la ruralité ou les villes petites et moyennes est de plus en plus difficile, avec la fermeture des usines et des services publics qui s'en vont ou réduisent leur présence.

Ce ressenti, Emmanuel Macron, bourgeois formaté par son éducation et ses études, ne le pressentait pas, convaincu qu'il était que tous les français partageaient sa volonté de débrider l'éconmie française du carcan social et fiscal qui est sipposé l'enserrer. 

Il n'a pas su voir qu'au-delà de la France plus ou moins intégrée dans le nouveau monde, il y avait une France délaissée, prête à exploser. Pourtant le rejet des politiques, la montée des populistes et de l'extrême droite, la haine propagée sur les réseaux sociaux et qui n'est pas récente, auraient dû alerter.  Tout dans sa bulle formatée par son parcours de vie, Macron et ses amis n'ont rien vu ou voulu voir, et bien au contraire ont enflammé les braises qui couvaient, avec deux mesures dont Macron n'a d'ailleurs pas ou peu la responsabilité, la hausse du prix de l'essence et la limitation à 80 km/heure. 

Retour de la "vieille politique"

D'abord assommé par la révolte populaire, il s'est rapidement repris par un premier train de mesures sociales en décembre, par le Grand débat où il n'a pas hésité à mouiller la chemise, au risque de se comporter en pédagogue de sa politique plus qu'en président à l'écoute des citoyens, puis par un deuxieme train de mesures, plus grand encore que le premier.

Au total, un coût de 17 milliards de dépenses pour l'Etat, dit-on.

Ainsi, en réaction à la vindicte populaire, Macron a renié tous les choix économiques qu'il avait mis en avant pour asseoir son image et sa popularité, puis son élection.

Aux oubliettes le choix de ramener à zéro le déficit budgétaire; aux oubliettes la France startup, innovante, priorité désormais à la France d'en bas, celle qui souffre, a peur de l'avenir, ne se sent pas adaptée aux changements du monde; aux oubliettes la priorité à ceux qui travaillent, au détriment des retraités; aux oubliettes la nouvelle façon de faire de la politique, désormais on écoute ceux qui râlent et on égraine les récompenses. Comme avant, et tant pis si cette pratique bien française a engendré les déficits qu'on connaît, qui nous place dans les mauvais élèves de l'Europe; aux oubliettes le leadership européen, les réserves des populistes européens comme celle de Merkel, ajoutées à la perte de crédibilité due aux gilets jaunes ont banalisé le président français.

Un président par défaut

Le dégagisme macronien a donc bien vite atteint ses limites. Beaucoup s'en réjouiront, tout autant s'en désoleront. Rien ne peut-il donc jamais changer ?

Pour payer les nouvelles dépenses sociales, Macron va faire jouer l'éternel balancier si cher à la France : on va prélever sur les entreprises, juste après avoir prélevé sur les particuliers pour alléger les charges des entreprises afin d'augmenter leur compétitivité.

La France est incapable de stabilité fiscale, et Macron fait comme les autres, exactement comme les autres. Les entreprises en sont mécontentes, la partie supérieure de la classe moyenne est lasse, car ne touchera rien, comme d'habitude, et les plus pauvres ne verront pas leur vie changer par quelques dizaines d'euros en plus chaque année. De surcroît, le choix de faire supporter à l'Etat l'incapacité des entreprises à rémunérer le travail comme il devrait l'être, est éminemment contestable, faisant croire à l'omnipotence du président. Bien au contraire, la société n'est pas le produit des choix de l'Etat. Celui-ci ne fait que s'adapter aux évolutions du monde, produites par le progrès technologique, le changement des mentalités. 

Plutôt que de prendre une panoplie de mesurettes à effets à court terme et faiblards sur le niveau de vie des plus modestes, il aurait mieux fait d'afficher une vision modifiée du monde, en proie à un capitalisme exacerbé, destructeur de l'humanité. Il aurait dû s'ériger en apôtre d'un capitalisme civilisé, et engager la France, puis l'Europe, dans une vision à long terme d'un capitalisme plaçant au même rang le salarié et l'actionnaire, privilégiant le moyen terme à l'immédiat court terme, mettant au centre des priorités non le profit mais le bonheur des hommes et de la planète, encourageant la valeur du travail par sa juste valorisation, non par l'assistance.

C'est peut-être une utopie, mais le monde ne change que sous l'effet de "lumières" qui s'allument ici et là. Emmanuel Macron a raté l'occasion d'en faire partie.