L'entreprise devra faire sa révolution culturelle

Le 28/07/2017

Dans Humeurs

StockoptionsLa Ministre du Travail, Muriel Pénicaud se voit reprocher d'avoir vendu, quand elle était DRH de Danone, pour un million d'euros de stock-options Danone quelque temps après la mise en place d'un plan social. Rien d'illégal, mais ça choque un monde politique qui à chaque fois semble découvrir la réalité du monde de l'entreprise.

La DRH aurait profité d'une flambée boursière du titre suite à l'annonce d'un plan social supprimant 900 emplois. La Ministre se défend en disant que l'acquisition des stock-options était bien antérieure au plan social.
Certes, mais c'est bien le plan social et son effet sur le marché qui a fait flamber le titre, et qui a rendu possible la réalisation des stock-options. Rappelons qu'une stock-options est le droit à partir d'un certain délai d'acheter un titre à un cours fixé à l'avance. Si au moment de la possibilité d'exercer le droit, la valeur du titre à la bourse est inférieure au cours fixé, la stock-option vaut zéro, et son détenteur a tout perdu. Il a été rémunéré en monnaie de singe. Si au contraire la valeur boursière est supérieure au cours d'acquisition, il exercera son droit et vendra les titres acquis au prix de la valeur boursière, son gain consistant en la plus-value réalisée entre les titres vendus au cours de bourse et acquis à celui de la stock-option. 
Tout le monde sait aujourd'hui que le marché adore les annonces des entreprises de baisses des coûts, et tout particulièrement des frais de personnel qui en constituent le plus souvent la part la plus importante. Donc même bien postérieure à l'attribution des droits, la hausse du cours suite à l'annonce du plan social a certainement permis la levée des actions et la plus-value. Le marché n'aime pas les ressources humaines, qu'il ne perçoit, à tort bien évidemment, que comme un coût, et non une source de profits.

Le cours de bourse comme objectif

La finalité des stock-options est de mobiliser les détenteurs à la hausse du cours de l'action. Dans un affichage hypocrite, on dira que la hausse de l'action va avec la bonne santé de l'entreprise, et que son attribution concourt donc à l'intérêt de tous.
Dans un premier temps réservés aux seuls pdg et dg, les plans de stock-options se sont "démocratisés" en s'étendant assez vite aux top dirigeants, puis aux cadres méritants ou jugés à potentiels. Pour les premiers, les montants peuvent atteindre plusieurs millions d'euros, pour les derniers quelques milliers.

Intéresser les salariés à la réussite de l'entreprise, et accroître leur motivation est une idée respectable. L'asseoir sur l'évolution du cours de bourse l'est moins. Il y a 36000 façons d'évaluer une entreprise, la valeur boursière en est une, mais qui est loin d'être la seule, pas même la meilleure. Il n'y a qu'à voir les variations d'un titre au cours du temps, même court, pour comprendre que la valeur d'une entreprise est subjective, fonction de l'air du temps, des paramètres entrés dans les logiciels de trading, des annonces à court terme, des effets de mode générateurs de bulles, de la spéculation visant des gains à très court terme.
Il y a quelques années, le cours de la SG était à 160 euros. A ce cours, les experts analystes la conseillaient encore à l'achat. Puis Kerviel est arrivé, puis le crise financière, amenant le titre à ... 15 euros au plus bas ! La valeur de l'entreprise a-t-elle vraiment été divisée par 10? Dix ans après, la banque est toujours bel et bien là, en bonne santé, le cours oscille autour de 40 euros. Fortune à ceux qui ont réalisé et vendu leurs stock-options avant l'affaire, déboire aux autres, qui ont vu leur valeur réduire à zéro.

 

Une cause d'inégalités

Les stock-options sont une cause majeure dans l'accroissement  extraordinaire des inégalités qui affecte le monde de l'entreprise depuis une bonne vingtaine d'années.

D'abord parce que les hauts dirigeants peuvent percevoir par ce biais plusieurs milliers, voire millions, d'euros de rémunérations. L'écart des rémunérations entre les plus bas salaires et les plus hautes rémunérations s'en est trouvé bouleversé. Ford souhaitait limiter à 20 cet écart, il est plutôt de 100 aujourd'hui, voire 200.

Ensuite parce que tous les salariés n'en bénéficient pas. Si le nombre de bénéficiaires a beaucoup augmenté, seule la population de cadres est concernée. Et pas tous les cadres, et pour des montants souvent symboliques. Car être l'heureux bénéficiaire d'un plan de stock-options devient un signe de reconnaissance qui vous donne l'illusion d''entrer dans la caste des décideurs de l'entreprise.

Surtout parce la population des non-cadres, la plus nombreuse, n'en bénéficie pas. La population d'ouvriers et d'employés doit se contenter du salaire, bas, stagnant, l'intéressement étant la seule possibilité de profiter de la croissance de l'entreprise. Au total quelques centaines d'euros pour la masse, quelques millions pour quelques uns.

Bas salaire, précarité croissante, plans sociaux pour le plus grand nombre. Hauts salaires, stock-options, stabilité de l'emploi pour les autres.

Des risques sur la gestion de l'entreprise

Il ne faut pas minimiser l'effet des stock-options sur la gestion de l'entreprise. 

En faisant reposer la profitabilité du plan de stock-options sur le seul cours de bourse, il place ce dernier comme baromètre et objectif de l'action des dirigeants. C'est la porte ouverte à toutes les manoeuvres, pour ne pas dire manipulations, ayant pour objet de faire monter le cours. D'autant que les principaux bénéficiaires des plans sont les décideurs de l'entreprise, donc par nature des initiés.
C'est le risque de privilégier les actions à court terme qui auront un effet immédiat sur le cours de bourse, par rapport à celles à moyen et long terme, dont l'effet positif attendra plusieurs années.  La politique de la France ne se fait pas à la corbeille, disait de Gaulle, il doit en être pareil de celle des entreprises.
C'est le risque de désolidariser le personnel, entre la petite partie des bénéficiaires et les autres. 
C'est le risque de mécontentement lorsque le cours évoluant dans le mauvais sens, les stock-options ont perdu toute valeur, sans pour autant que le salarié ait démérité ou que l'entreprise ait fait de mauvais résultats. Comme les stock-options ne coûtent quasiment rien à l'entreprise, sauf une dilution du capital, la tentation est grande de compenser la stagnation des salaires par l'attribution de stock-options. Mais grande est la colère quand il s'avère que cela n'a été que de la monnaie de singe.

Le monde de l'entreprise devra faire sa révolution culturelle

Muriel Pénicaud n'a donc rien à se reprocher, sauf d'appartenir à l'élite bénéficiaire du système de rémunération  des grandes entreprises du XXI ème siècle. Aux cadres dirigeants hauts salaires et rémunérations variables insensées, à la masse des autres, bas salaires, et c'est tout! Et pour les nouveaux embauchés, précarité.

Alors oui, l'annonce d'un plan social pousse le cours des actions à la hausse. Alors oui elle profite aux détenteurs des stock-options quand ils sont dans la période de réalisation. Alors oui c'est immoral, si ce mot a un sens, mais c'est tout le capitalisme qui l'est, surtout depuis la fin des années 80 où il s'est considérablement exacerbé.

Si demain le travail devait se raréfier, alors le monde de l'entreprise devra faire sa révolution culturelle, et plutôt que d'acheter la conscience de quelques cadres haut-placés, elle devra montrer de la solidarité, d'abord pour maintenir la pouvoir d'achat du plus grand nombre, sans quoi il n'y aura pas de croissance, éviter ensuite la paupérisation croissante qui déboucherait inévitablement un jour ou l'autre sur l'explosion sociale.